Les anti-inflammatoires augmenteraient-ils le risque de douleur chronique ?
Une nouvelle étude menée par des chercheurs de l’Université McGill, au Canada, remet en question les notions actuelles sur la façon de traiter la douleur aiguë. Les résultats suggèrent que le traitement de certaines formes de douleur aiguë à l’aide d’anti-inflammatoires pourrait en fait augmenter le risque que cette douleur se transforme en une affection chronique.
L’objectif de la recherche était de déterminer les causes de la transformation de la douleur aiguë en maladie chronique. La première étape consistait à étudier l’expression de certains gènes dans une cohorte de patients souffrant de douleurs lombaires aiguës.
Le premier indice d’un phénomène inhabituel est apparu lorsque les chercheurs ont constaté une forte activité des gènes liés au système immunitaire chez les patients qui se remettaient rapidement de leurs intenses douleurs dorsales. Ces mêmes gènes étaient manifestement silencieux chez les patients qui souffraient de douleurs chroniques à long terme. En fait, il semble que les personnes les moins susceptibles de souffrir de douleurs chroniques présentaient une réponse inflammatoire plus forte lorsqu’elles souffraient de douleurs aiguës.
Selon Luda Diatchenko, coauteur de l’étude (lien plus bas) :
En analysant les gènes des personnes souffrant de douleurs lombaires, nous avons observé des changements actifs dans les gènes au fil du temps chez les personnes dont la douleur disparaissait. Les changements dans les cellules sanguines et leur activité semblaient être le facteur le plus important, en particulier dans les cellules appelées neutrophiles.
Ce résultat fut inattendu, car les anti-inflammatoires sont couramment utilisés pour traiter les douleurs lombaires, et des années de preuves ont établi qu’ils contribuent effectivement à réduire la douleur. Mais ce premier résultat suggère que la suppression d’une réponse inflammatoire précoce à la douleur pourrait contribuer à augmenter le risque de développement d’une douleur chronique.
Les chercheurs sont donc passés à une série d’expériences sur des souris pour voir si cela se produisait réellement. Lorsque des souris souffrant de blessures au dos recevaient des anti-inflammatoires non stéroïdiens classiques, elles étaient plus susceptibles de souffrir de douleurs persistantes à long terme, même si les médicaments agissaient efficacement comme analgésiques à court terme. Les souris souffrant de blessures similaires et traitées avec une solution saline ou un autre analgésique étaient moins susceptibles de présenter des signes de douleur chronique.
Les chercheurs se sont plus particulièrement intéressés aux cellules immunitaires appelées neutrophiles. Ils ont découvert que le blocage direct de l’activité de ces cellules entraînait des réponses à la douleur dans les tests sur les animaux qui duraient 10 fois plus longtemps que les contrôles normaux.
Selon Jeffrey Mogil, coauteur de l’étude :
Les neutrophiles dominent les premiers stades de l’inflammation et préparent le terrain pour la réparation des lésions tissulaires. L’inflammation se produit pour une raison, et il semble qu’il soit dangereux d’interférer avec.
Enfin, les chercheurs ont examiné les dossiers médicaux d’un demi-million de personnes au Royaume-Uni. Cette enquête a révélé de manière frappante que les personnes prenant des anti-inflammatoires pour des maux de dos étaient environ 75 % plus susceptibles de signaler des douleurs chroniques persistantes 2 à 6 ans plus tard que celles qui prenaient du paracétamol ou des antidépresseurs.
Les chercheurs sont conscients que leurs résultats seront probablement controversés, car le traitement de la douleur aiguë par des anti-inflammatoires est une pratique courante depuis des décennies. Mogil précise que l’équipe de recherche avait eu du mal à faire publier la nouvelle étude dans une revue scientifique revue par les pairs, ces derniers s’inquiétant des implications radicales des résultats.
En fin de compte, les chercheurs ne suggèrent pas aux patients d’éviter complètement les anti-inflammatoires sur la base de cette seule étude. Il existe de nombreuses occasions où les stéroïdes et les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont des options thérapeutiques cruciales et précieuses.
Selon Diatchenko, la prochaine étape consistera à mener un essai clinique randomisé comparant les résultats à long terme des anti-inflammatoires à d’autres analgésiques sur la douleur chronique.
Selon Diatchenko :
Nous avons découvert que la résolution de la douleur est en fait un processus biologique actif. Ces résultats devraient être suivis d’essais cliniques comparant directement les anti-inflammatoires à d’autres analgésiques qui soulagent les douleurs mais ne perturbent pas l’inflammation.
L’étude publiée dans Science Translational Medicine : Acute inflammatory response via neutrophil activation protects against the development of chronic pain et présentée sur le site de l’Université McGill : Discovery reveals blocking inflammation may lead to chronic pain.