Le plancher océanique de l’Arctique s’effondre en immenses gouffres et le dégel du pergélisol en serait la cause
Selon de nouvelles recherches, les côtes de l’Arctique sont criblées de dolines. Alors que la cause principale est censée être les processus naturels liés à la dernière période glaciaire, on ne sait toujours pas si le changement climatique provoqué par l’humain contribue ou non à la formation de ces gouffres.
Image d’entête : à partir des relevés du Monterey Bay Aquarium Research Institute (MBARI), ce gouffre massif s’est développé en seulement 9 ans sur le plancher océanique à partir du bord du plateau arctique dans la mer de Beaufort canadienne. (Eve Lundsten/ MBARI)
Le pergélisol fond dans toutes les régions du monde habituellement glaciales. L’Arctique ne fait pas exception. Les paysages y sont parsemés de dolines, des zones d’effondrement du sol qui provoquent des trous profonds à la surface. De nouvelles recherches indiquent que le même processus se produit également sous les eaux. Le dégel d’une grande zone de pergélisol à une profondeur de 500 mètres sur le versant continental de la mer de Beaufort au Canada provoque des « changements morphologiques extraordinairement rapides », expliquent les chercheurs.
La rapidité de ces effondrements est d’autant plus surprenante que le processus n’est pas lié à des expulsions de gaz méthane ou à un changement climatique d’origine humaine, comme c’est le cas dans d’autres régions du monde.
Selon Charlie Paull, un géologue du Monterey Bay Aquarium Research Institute (MBARI/ États-Unis) qui a dirigé l’étude :
Nous savons que de grands changements se produisent dans tout le paysage arctique, mais c’est la première fois que nous avons pu déployer une technologie permettant de voir que des changements se produisent également au large.
Si les dolines sous-marines que nous avons découvertes sont le résultat de cycles climatiques glaciaires-interglaciaires à plus long terme, nous savons que l’Arctique se réchauffe plus rapidement que n’importe quelle autre région de la planète. Alors que le changement climatique continue de remodeler l’Arctique, il est essentiel que nous comprenions également les changements dans le pergélisol submergé au large.
L’équipe a cartographié une zone de 25,9 kilomètres carrés de fond marin entre 2010 et 2019, signalant l’émergence de pas moins de 41 dolines sur la période de l’étude. La profondeur moyenne de ces dolines est de 6,7 mètres. La plus grande mesurait 225 m sur 98 m et sa profondeur était de 29 m, ce qui la rendait suffisamment grande pour contenir « un pâté de maisons composé d’immeubles de six étages ».
La technologie du MBARI, comprenant des véhicules sous-marins autonomes (AUV, à gauche) et un véhicule télécommandé portable (MiniROV, à droite), qui ont permis de révéler des changements rapides du plancher océanique dans la mer de Beaufort canadienne. (Charlie Paull/ MBARI)
Ces dolines semblent aller de pair avec l’émergence de collines remplies de glace dans d’autres zones du plancher océanique.
Bien que les données sur les températures du plancher océanique dans la région soient limitées, celles disponibles ne semblent pas indiquer une tendance significative au réchauffement à ce niveau. En substance, l’équipe pense que les dolines et les collines qui s’élèvent sont dues à l’effondrement du sol dans les espaces vides laissés par le dégel des couches de pergélisol, qui semblent fondre en raison de la chaleur transportée (lentement) par les réseaux d’eaux souterraines. Ceux-ci, à leur tour, selon Charlie Paull, « dérivent de changements climatiques beaucoup plus anciens et plus lents liés à l’émergence de la Terre après la dernière période glaciaire, et semblent se produire le long du bord du pergélisol depuis des milliers d’années ».
Selon le coauteur de l’étude, Scott Dallimore, du Geological Survey of Canada et du Natural Resources Canada :
Cette recherche a été rendue possible grâce à une collaboration internationale au cours de la dernière décennie qui a permis d’accéder à des plateformes de recherche marine modernes telles que la technologie robotique autonome du MBARI et les brise-glaces exploités par la Garde côtière canadienne et l’Institut coréen de recherche polaire.
Le gouvernement du Canada et le peuple inuvialuit qui vit sur la côte de la mer de Beaufort accordent une grande importance à cette recherche, car les processus complexes décrits ont des répercussions sur l’évaluation des géorisques, la création d’un habitat marin unique et notre perception des processus biogéochimiques.
Les données limitées concernant la température du plancher océanique ne montrent pas de tendance au réchauffement. Au contraire, selon Paull :
Les preuves suggèrent que les caractéristiques sous-marines que nous avons observées en formation sont essentiellement des dolines et des escarpements en recul, qui s’effondrent dans l’espace vide laissé par le dégel du pergélisol riche en glace. En raison de la chaleur transportée par les systèmes d’eau souterraine qui se déplacent lentement. Ces changements découlent de changements climatiques beaucoup plus anciens et plus lents, liés à la sortie de la Terre de la dernière période glaciaire, et semblent se produire à la lisière du pergélisol depuis des milliers d’années.
Cela dit, on ne sait toujours pas si et comment le changement climatique provoqué par l’humain influe sur ce processus. L’infiltration des eaux souterraines provenant de la fonte du pergélisol sur le sol arctique semble être la principale voie par laquelle la chaleur est introduite dans l’environnement sous-marin : les zones sous-marines où l’infiltration des eaux souterraines est la plus faible restent relativement gelées, selon l’équipe. Nous savons que la fonte à la surface est largement liée au changement climatique. Il existe donc au moins un lien faible entre les deux processus, mais il y a tout simplement trop d’inconnues à l’heure actuelle pour tirer des conclusions fiables.
Les chercheurs pensent que des dégels et des effondrements similaires se produisent également dans les systèmes de pergélisol sous-marins dans d’autres régions du monde, mais les données dont nous disposons jusqu’à présent sont insuffisantes pour estimer l’ampleur du phénomène.
L’équipe poursuivra ses recherches pendant l’été arctique à l’aide de sonars embarqués et de véhicules sous-marins autonomes afin d’approfondir les connaissances sur ces phénomènes.
L’étude publiée dans The Proceedings of the National Academy of Sciences : Rapid seafloor changes associated with the degradation of Arctic submarine permafrost et présentée sur le site du Monterey Bay Aquarium Research Institute : Mapping reveals rapid changes to the Arctic seafloor as ancient submerged permafrost thaws.
Il y a quelque-chose que je ne comprends pas :
le « pergélisol », ou permafrost, existe en surface de la croûte terrestre,
donc en surface des zones émergées.
Comment de la terre gelée pourrait-elle exister en surface de fonds marins qui ne sont plus gelés depuis des milliers d’années ?
On peut penser qu’à des époques de grandes glaciations, le froid aurait pu être si intense que la totalité des volumes liquides aient été transformés en glace, certes. Mais depuis 10 à 15.000 ans que le réchauffement existe, et donc que ces masses de glaces sont redevenues liquides, on ne comprends alors pas comment des planchers sub-océaniques auraient pu rester gelés sous forme de pergélisol….?