Pour la première fois, un rythme universel chez l’humain a été découvert chez un primate
Le rythme est un trait rare chez les mammifères, mais il s’avère qu’il n’est pas propre à l’humain.
Image d’entête : Indri indri dans un arbre. (Filippo Carugati)
Une équipe internationale de chercheurs a passé 12 ans à étudier le lémurien indri indri de Madagascar, une espèce gravement menacée, l’un des rares primates « chanteurs » au monde, afin de déterminer si ces derniers ont également le sens du rythme.
Selon Andrea Ravignani, l’un des principaux chercheurs de l’étude, de l’Institut Max Planck de psycholinguistique, aux Pays-Bas :
La compréhension de l’évolution de la musicalité humaine suscite un intérêt constant, mais la musicalité ne se limite pas à l’homme.
Rechercher des caractéristiques musicales chez d’autres espèces nous permet de construire un « arbre évolutif » des traits musicaux, et de comprendre comment les capacités rythmiques sont nées et ont évolué chez l’homme.
Pour atteindre leur objectif musical, l’équipe a étudié 20 groupes d’indri, soit 39 animaux au total, en enregistrant leurs chants et en les analysant pour déterminer le rythme catégorique (Categorical rhythm), une « rythmique universelle » que l’on retrouve dans toutes les cultures musicales humaines. Le rythme est catégorique lorsque les intervalles entre les sons ont exactement la même durée (rythme 1:1) ou une durée double (rythme 1:2). Ce type de rythme rend une chanson facilement reconnaissable, même si elle est chantée à des vitesses différentes.
Indri indri dans un arbre. (Filippo Carugati)
Les membres des groupes familiaux indris ont tendance à chanter ensemble, en harmonisant les duos et les chœurs. L’équipe de recherche a constaté que les chants indris présentaient les catégories rythmiques classiques (1:1 et 1:2), ainsi que le ritardando (« ralentissement ») typique de plusieurs traditions musicales. Les chants masculins et féminins avaient un tempo différent, mais présentaient le même rythme.
Selon le premier auteur, Chiara De Gregorio :
Un schéma rythmique précis peut jouer un rôle important dans la coordination du signal. Les chants des indris peuvent être émis en duo ou en chœur, et un modèle rythmique prédictif peut bénéficier au processus de prise de relais.
Une émission vocale caractérisée par la présence de catégories rythmiques pourrait également être plus facile à acquérir ou à apprendre qu’une émission moins organisée, de la même manière que pour nous, il est plus facile de se souvenir d’une chanson qui a un schéma simple et défini, comme une chanson pop, que d’une chanson plus variable (comme un air de jazz complexe).
Alors que des études ont mis en évidence le rythme chez des espèces d’oiseaux, les chercheurs affirment que ces résultats sont la première preuve d’une rythmique universelle chez un mammifère autre que l’humain, et suggèrent que cette aptitude pourrait avoir évolué indépendamment parmi les espèces de chanteurs, le dernier ancêtre commun entre l’humain et l’indri vivant il y a environ 77,5 millions d’années. Le rythme pourrait faciliter la production et le traitement des chansons, voire leur apprentissage.
Selon Ravignani :
Les rythmes catégoriques ne sont que l’un des six universaux qui ont été identifiés jusqu’à présent. Nous aimerions rechercher des preuves de l’existence d’autres universaux, notamment un rythme « répétitif » sous-jacent et une organisation hiérarchique des rythmes, chez les indri et d’autres espèces.
Les chercheurs prédisent que, finalement, l’indri pourrait ne pas être le seul parmi les primates à posséder des caractéristiques rythmiques partagées avec la musique humaine.
Pour De Gregorio :
Je pense qu’il est possible que d’autres primates présentent cet universel rythmique, notamment ceux qui chantent. Par exemple, les gibbons pourraient être de bons candidats car leurs chants sont assez longs et complexes, et les fonctions des chants des gibbons sont similaires à celles des indris.
L’étude publiée dans Current Biology : Categorical rhythms in a singing primate et présentée sur le site du Max Planck Institute for Psycholinguistics : That primate’s got rhythm!