Ce n’est finalement pas l’humain, mais le changement climatique qui a entraîné la disparition des mammouths laineux
L‘activité humaine est responsable du déclin alarmant des insectes, des vertébrés, des plantes et de presque tous les êtres vivants imaginables. Les taux d’extinction sont jusqu’à 1 000 fois plus élevés qu’à l’époque préhumaine, ce qui explique pourquoi les scientifiques qualifient cette perte rapide de biodiversité de « sixième extinction de masse », aux côtés d’autres extinctions massives dues à des astéroïdes tueurs de dinosaures, à de gigantesques éruptions volcaniques à l’échelle de la planète et à une élévation catastrophique du niveau de la mer.
Image d’entête : représentation artistique de trois mammouths laineux dans la steppe. (Daniel Eskridge)
Compte tenu de ces antécédents peu réjouissants, il n’est pas surprenant qu’à chaque fois qu’une espèce s’est éteinte à peu près au même moment où l’humain était dans les parages, nous ayons été rapidement désignés comme les infâmes coupables. C’est ce qui s’est passé, par exemple, lors de l’extinction de l’emblématique mégafaune du Pléistocène, la disparition soudaine du mammouth laineux étant souvent considérée comme l’exemple parfait de la brutalité des humains depuis la préhistoire.
Après tout, il existe de nombreuses preuves que les humains ont chassé les mammouths, des os avec des marques de dépeçages ayant été retrouvés dans diverses grottes occupées par des chasseurs-cueilleurs préhistoriques. Certains groupes ont même utilisé les solides os de mammouths pour construire d’étranges structures circulaires, de type occulte, dont certaines étaient constituées des restes de dizaines d’individus.
Mais des études menées au cours des dix dernières années environ, étayées par diverses preuves climatologiques et génétiques, ont dressé une histoire différente, suggérant que les mammouths auraient pu s’éteindre indépendamment de l’existence ou non de l’humain. Une nouvelle étude, peut-être la plus complète du genre, absout les humains, concluant que le changement climatique rapide dû à la fin de la dernière période glaciaire a condamné les mammouths.
Si les derniers ont survécu jusqu’à il y a 4 000 ans sur la lointaine île Wrangel, dans l’océan Arctique, la grande majorité des mammouths vivant dans le reste du monde ont été exterminés il y a environ 10 000 ans.
Le déclin du mammouth fut rapide, sur une échelle de temps géologique, et il a commencé il y a environ 12 000 ans, lorsque les glaciers qui couvraient de vastes étendues de l’hémisphère nord ont fondu. Cela ne saurait être une coïncidence, selon les conclusions d’une recherche de dix ans menée par le professeur Eske Willerslev, membre du St John’s College de l’université de Cambridge et directeur du centre de géogénétique de la fondation Lundbeck à l’université de Copenhague.
Paysage arctique moderne. (Inger Greve Alsos)
Wilerslev et ses collègues ont analysé l’ADN d’échantillons biologiques prélevés sur une période de 20 ans dans plus de 200 sites de la région arctique où des restes de mammouths ont été trouvés. Les échantillons couvrent les 50 000 dernières années et comprennent des restes végétaux et animaux, notamment de l’urine, des excréments et des cellules de peau. La même technique avait déjà été utilisée pour détecter et suivre indirectement les cas de COVID-19 à partir des eaux usées des populations humaines.
Cet énorme ensemble de données d’ADN environnemental a été comparé aux informations génétiques de 1 500 génomes de plantes modernes qui ont été séquencés par l’équipe internationale.
Cette analyse a montré qu’avec la fonte des glaciers, l’apparition d’un climat beaucoup plus chaud et humide a rapidement remplacé la végétation broussailleuse que les mammouths avaient l’habitude de brouter par des arbres et des plantes de zones humides. Ce changement s’est produit beaucoup plus rapidement que ce à quoi les troupeaux de mammouths pouvaient s’adapter, mettant ainsi fin à un héritage évolutif de quatre millions d’années.
Une défense de mammouth sur la rive de la rivière Logata. (Johanna Anjar)
Selon le professeur Willerslev :
Les scientifiques se disputent depuis 100 ans sur les raisons de l’extinction des mammouths. Les humains ont été pointés du doigt parce que les animaux avaient survécu pendant des millions d’années sans que le changement climatique ne les tue auparavant, mais lorsqu’ils ont vécu aux côtés des humains, ils n’ont pas fait long feu et nous avons été accusés de les chasser à mort.
Nous avons finalement pu prouver que ce n’était pas seulement le changement climatique le problème, mais la vitesse de celui-ci qui fut le dernier clou du cercueil : ils n’ont pas été capables de s’adapter assez rapidement lorsque le paysage s’est radicalement transformé et que leur nourriture est devenue rare.
L’extinction des mammouths ne s’est pas produite instantanément. Au contraire, leur nombre a lentement diminué au fur et à mesure que la nourriture se raréfiait. Avec le temps, leur diversité génétique a également souffert puisqu’il y avait moins d’individus, ce qui a entraîné une augmentation de la consanguinité. Cette perte de diversité génétique les a rendus encore plus vulnérables aux changements brutaux de température, de ressources alimentaires et de maladies.
Selon Yucheng Wang, premier auteur de cette étude et chercheur associé au département de zoologie de l’université de Cambridge :
Lorsque le climat est devenu plus humide et que la glace a commencé à fondre, des lacs, des rivières et des marais se sont formés. L’écosystème a changé et la biomasse de la végétation a diminué, ce qui n’aurait pas permis d’entretenir les troupeaux de mammouths. Nous avons montré que le changement climatique, en particulier les précipitations, est directement à l’origine de la modification de la végétation. D’après nos modèles, l’homme n’a eu aucun impact sur celle-ci.
L’étude publiée dans Nature : Late Quaternary dynamics of Arctic biota from ancient environmental genomics et présentée sur le site du St John’s College de l’Université de Cambridge : Humans did not cause woolly mammoths to go extinct – climate change did.