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Le braconnage intensif de l’ivoire a entraîné l’évolution rapide d’éléphants sans défense

23 Oct 2021 | 0 commentaires

Elephants sans défense 1 21

Shane Campbell-Staton, biologiste évolutionniste à l’université de Princeton (États-Unis), a passé la majeure partie de sa carrière à faire des recherches sur les lézards.

Mais à 3 heures du matin, un matin de 2016, il surfait sur YouTube et tombe sur une vidéo sur des éléphants d’Afrique. Elle décrivait une tendance bizarre : de nombreuses femelles du parc national de Gorongosa, au Mozambique, étaient dépourvues de défenses.

C’était inhabituel, car normalement, seuls 2 % des éléphants d’Afrique femelles sont dépourvus de défenses. Intriguée, Staton-Campbell a contacté des collègues qui étudiaient les éléphants, et a constaté que personne ne s’était penché sur ce mystère.

Finalement, le biologiste de Princeton Robert Pringle l’a invité à se rendre dans le parc pour étudier lui-même le phénomène.

Sept mois après avoir regardé cette vidéo, il s’est retrouvé dans un hélicoptère à compter les éléphants. Après avoir comparé les populations actuelles aux séquences vidéo historiques du parc de Gorongosa, Staton-Campbell et Pringle sont arrivés à une conclusion inquiétante : le nombre de femelles sans défense avait augmenté de façon spectaculaire en trois décennies environ.

Entre 1977 et 2004, la proportion de femelles sans défenses est passée de 18,5 % à 33 %. Le début de cette tendance à la disparition des défenses n’est pas une coïncidence, selon la nouvelle étude.

Le Mozambique est entré dans une sanglante guerre civile en 1977. Les armées des deux camps ont chassé les éléphants d’Afrique pour leurs défenses, vendant l’ivoire pour financer la guerre pendant 15 ans. En 1992, la population d’éléphants de Gorongosa avait diminué de plus de 90 %.

Pendant la guerre, la proportion de femelles sans défenses dans le parc a presque triplé, au point qu’une femelle sur deux n’avait plus de défenses.

Étant donné que les braconniers ciblaient les éléphants à défenses, il était logique que les rares femelles sans défenses aient de meilleures chances de survie.

Cet avantage a persisté même après la fin de la guerre civile, même si la proportion de naissances de femelles sans défenses a quelque peu diminué. Entre 1995 et 2004, une femelle sur trois née dans le parc était dépourvue de défense, contre environ une sur cinq avant la guerre.

Globalement, entre 1972 et 2000, les chercheurs ont calculé que cinq femelles sans défense ont survécu pour une femelle avec défense. Pour le groupe de Campbell-Staton, cela suggère que le braconnage a entraîné une évolution rapide.

Selon Shane Campbell-Staton :

Il est extrêmement improbable qu’un changement d’une telle ampleur soit le fruit du seul hasard.

Les chercheurs sont toutefois restés perplexes quant à la raison pour laquelle l’absence de défense est une caractéristique limitée aux femelles.

Même dans les régions où les populations d’éléphants d’Afrique sont importantes, en dehors du parc de Gorongosa, on ne trouve que des exemples épars de mâles sans défense. Ce schéma suggère que l’absence de défense a une origine génétique liée au sexe de l’éléphant.

Après avoir séquencé les génomes des femelles avec et sans défense du parc, les chercheurs ont identifié un gène dominant qui pourrait être responsable de l’absence de défense, appelé AMELX.

AMELX est transmis par la mère à sa progéniture sur le chromosome X, et les humains possèdent également ce gène. Chez ces derniers, la perturbation de ce gène entraîne une fragilité des dents et ralentit leur croissance chez les femelles. Mais si un mâle humain hérite d’un gène AMELX défectueux sur son chromosome X, il meurt généralement.

Les auteurs de l’étude pensent qu’il pourrait en être de même pour les éléphants d’Afrique : Si un éléphant mâle hérite d’un gène AMELX altéré, il meurt. Mais le gène muté n’entraînerait la perte des défenses que chez la femelle.

L’absence de défenses peut sembler être un problème sans importance, mais cette tendance pourrait avoir des répercussions sur l’ensemble des écosystèmes des éléphants d’Afrique.

Toujours selon Campbell-Staton :

Les défenses sont des outils polyvalents qui permettent d’arracher l’écorce des arbres, de déterrer des minéraux précieux ou de découvrir des sources d’eau souterraines. Si vous n’avez pas vos défenses, votre comportement change, vous ne poussez plus les arbres parce que vous ne pouvez pas dépouiller leur écorce.

D’autres animaux de la savane africaine dépendent de ces comportements des éléphants. Lorsqu’ils renversent les arbres, cela crée un nouvel espace pour d’autres plantes des prairies, qui créent à leur tour des habitats pour d’autres espèces. Le déclin des éléphants à défenses entrave ce processus.

C’est un exemple de la façon dont l’activité humaine modifie la trajectoire évolutive des espèces tout le long de l’arbre de la vie. L’humain est la pression évolutive la plus influente de l’histoire, en dehors des cinq grands événements d’extinction massive.

Bien que la guerre civile au Mozambique soit terminée depuis longtemps, il faudra peut-être un siècle pour que la proportion de femelles sans défense retombe aux niveaux d’avant-guerre.

Selon les chercheurs :

Il faudra probablement cinq, six ou sept générations pour revenir aux 2 % auxquels on pourrait s’attendre en l’absence de toute pression de braconnage.

Ce qui, bien sûr, est beaucoup plus long que la seule génération qui « a été nécessaire pour tout bouleverser » ont ils ajouté.

L’étude publiée dans Science : Ivory poaching and the rapid evolution of tusklessness in African elephants et présentée sur le site de l’université de Princeton : Scientists identify genes behind tusklessness in African elephants facing poaching pressure.

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