Une théorie inspirée de l’intelligence artificielle suggère que nos rêves bizarres peuvent nous aider à comprendre la réalité
Des décennies, si ce n’est des siècles, d’analyses psychologiques ont tenté d’expliquer pourquoi notre imagination se lance dans des voyages étranges et sans contrainte pendant que nous dormons, le consensus général étant que cela a à voir avec le traitement des expériences de nos heures de veille.
Image d’entête : à partir du film “La Science des rêves” de Michel Gondry.
Le neuroscientifique Erik Hoel, de l’université Tufts, s’est inspiré de la façon dont nous apprenons aux réseaux neuronaux (méthodes de l’intelligence artificielle) à reconnaître des tendances, en soutenant que l’expérience même du rêve a sa propre finalité et que sa bizarrerie pourrait être une caractéristique, et non un défaut.
Selon Hoel :
Il existe évidemment un nombre incroyable de théories sur la raison pour laquelle nous rêvons.
Mais je voulais attirer l’attention sur une théorie qui prend le rêve lui-même très au sérieux, qui dit que l’expérience des rêves est la raison pour laquelle vous rêvez.
De la même manière que l’on apprend à lire à un enfant, former un programme à identifier des modèles à la manière d’un être humain nécessite d’exécuter de manière répétée des scénarios qui ont certaines choses en commun, comme la disposition des lettres.
Les ingénieurs en informatique ont constaté que cette répétition peut aider un programme à devenir exceptionnellement bon pour reconnaître des constantes d’éléments dans le contexte de ses séries d’entraînement, au risque qu’il ait du mal à appliquer le même processus lorsque la situation devient réelle en dehors de la salle de classe.
Ce problème, appelé « overfitting » (suradaptation), se traduit essentiellement par une incapacité à généraliser dans des situations contenant des éléments imprévisibles. Des situations comme celles du monde réel.
Heureusement, les informaticiens ont quelques solutions. L’une d’elles consiste à multiplier les scénarios, tout comme on donne à un étudiant de plus en plus de livres à lire. Tôt ou tard, la diversité des cours finira par refléter la complexité de la vie quotidienne.
Une autre méthode consiste à introduire des rebondissements comme une caractéristique du modèle en cours d’apprentissage. En augmentant les données d’une manière ou d’une autre (par exemple en inversant un symbole), le programme est obligé de tenir compte du fait que les modèles ne seront pas tous identiques.
Ces solutions permettent d’améliorer les chances d’un programme à faire face à une plus grande variété de situations, mais il est impossible de trouver une leçon pour chaque événement possible de la vie.
La correction la plus intelligente est peut-être celle que l’on appelle « abandon ». En forçant l’intelligence artificielle à ignorer, ou à laisser de côté, des éléments aléatoires d’une leçon, on lui donne les outils nécessaires pour mieux faire face à des scénarios comportant quelques éléments potentiellement déroutants.
Réalisant qu’il existe une similitude entre les solutions de suradaptation et le contenu étrange de nos rêves, Hoel a étendu les principes fondamentaux de l’abandon à notre propre cerveau pour développer « l’hypothèse du cerveau suradapté ».
Selon Hoel :
Si vous regardez les techniques que les gens utilisent pour régulariser l’apprentissage profond, il est fréquent que ces techniques présentent des similitudes frappantes avec les rêves.
Si l’on garde à l’esprit qu’il s’agit d’une hypothèse à tester, le fait que nous rêvions de tâches que nous effectuons déjà de manière répétée au cours de la journée pourrait être mieux expliqué si notre cerveau s’engageait dans une sorte d’abandon pour éviter un “surajustement”.
Hoel cite également le fait que la perte de sommeil, et avec elle, ces états de rêve étranges, nous permet encore de traiter les connaissances, tout en rendant plus difficile de généraliser ce que nous avons appris.
Bien que la nature même du rêve rende toute hypothèse sur sa finalité difficile à vérifier, les expériences remettant en cause l’hypothèse du cerveau suradapté se concentreraient sur les variations de la généralisation plutôt que de la mémorisation.
Si elle s’avérait fondée, l’hypothèse pourrait permettre d’améliorer les solutions à la suradaptation dans l’IA, en modifiant le moment et la nature des abandons ou en augmentant les variables de manière à aider le processus d’apprentissage à se généraliser plus efficacement.
Selon Hoel :
La vie est parfois ennuyeuse. Les rêves sont là pour vous empêcher de trop vous adapter au modèle du monde.
L’étude publiée dans Patterns : The overfitted brain: Dreams evolved to assist generalization et présentée sur le site de l’Université Tufts : A New Theory for Why We Dream.
des ordinateurs qui rêvent…. mais je croyais qu’on remplaçait l’homme par des machines justement parce qu’elles ne rêvent pas! Merci pour cet article très intéressant.
Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?
Le cerveau n’est pas un ordinateur, il ne peut donc pas s’arrêter, et nos rêves nous montrent ce que notre cerveau fait durant ce temps. Il fait des liens, il enchaîne les idées les unes aux autres de manière aléatoire mais en y inventant des liens. C’est ce qu’il fait le jour aussi, mais notre rêve est alors constamment ramené à la réalité, c’est à dire à son éventuelle utilité. Pourquoi notre cerveau ne peut-il pas s’arrêter? Probablement parce que notre mémoire est dynamique. Si on pouvait arrêter un cerveau complètement durant une fraction de seconde par exemple, il perdrait toutes ses informations. À quoi lui sert-il de croiser ses idées de manière aléatoire? À inventer de nouvelles idées à la manière des croisements génétiques d’après moi, ce qui signifie qu’elles subissent probablement aussi des mutations, qui devraient d’ailleurs influencer aussi nos rêves, mais de manière plus dramatique que les croisements. Une mutation d’idée donnerait une invention par exemple si elle se vérifiait, et un croisement donnerait une improvisation réussie.