Les rivières européennes sont coupées par plus d’un million de barrières
Les rivières encore sauvages sont des havres et des gardiens de la vie. Non seulement elles fournissent aux humains de l’eau potable pour boire, pour l’agriculture et pour d’autres activités économiques, mais elles abritent également environ 40 % des espèces de poissons du monde. Cependant, les rivières européennes sont de plus en plus étranglées par des barrières de rétention (digue, vanne ou autre type de barrière), ainsi que par de nombreux obstacles plus petits et moins visibles qui ont néanmoins un impact important en raison de leur nombre.
Image d’entête : une compilation de 630 000 références de barrières uniques provenant d’ensembles de données existants et l’image complète des barrières comprend au moins 400 000 points de barrières supplémentaires dont l’emplacement est en cours de modélisation.
Selon une nouvelle étude, issue du grand projet AMBER (Gestion adaptative des obstacles dans les rivières européennes) portant sur plus de 2 700 kilomètres de rivières en Europe, il existe 1,2 million de barrières dans 36 pays européens, soit 60 % de plus que ce que l’on pensait auparavant.
La plupart des 1,2 million de barrières qui fragmentent les rivières d’Europe ne sont pas de grands barrages, mais de petites structures qui passent inaperçues, car elles sont difficiles à détecter à moins d’aller sur le terrain et de remonter les rivières.
Au départ, Garcia de Leaniz et ses collègues se sont intéressés à la manière dont les barrières fluviales affectent les saumons et autres poissons migrateurs. Cependant, au cours de leur travail sur le terrain, il est vite devenu évident que ces barrières représentaient un problème bien plus important que ce que les autorités avaient estimé ou se souciaient d’admettre.
L’équipe a étudié 147 rivières dans 26 pays en utilisant les recensements de barrières par les autorités locales, ainsi que leurs propres données recueillies sur le terrain, le tout sur une période de 2 ans. Ce fut long, mais étant donné le volume de travail et les difficultés rencontrées, les chercheurs ont agi très rapidement.
Les principaux fleuves d’Europe colorés par bassins. L’épaisseur est proportionnelle à l’ordre des cours d’eau. (EEE/ Copenhague, 2012)
Selon Garcia de Leaniz :
Nous avons harmonisé 1 000 définitions des barrières dans 120 bases de données différentes sur les barrières, rédigées dans 30 langues différentes. Cela a parfois semblé une tâche impossible, aux proportions Babéliennes. Lorsque nous avons finalement réussi à tout rassembler et que nous avons pu voir la véritable étendue de la fragmentation des rivières, nous avons eu l’impression d’être dans un moment d’Eurêka. Lorsque nous avons commencé le projet quatre ans plus tôt, en 2016, nous avions fait un calcul au dos de l’enveloppe et nous nous étions demandé s’il pouvait y avoir un million de barrières. Nous n’étions pas loin du compte !
Trop petites pour être détectées par les satellites ou Google maps, ces barrières apparemment anodines, dont la plupart étaient des ramifications et des seuils de lit, des déversoirs et des ponceaux (petits ponts), peuvent être très perturbatrices. Des barrières aussi petites que 20 cm de haut peuvent empêcher de nombreuses espèces de traverser le cours d’eau. Ces barrières perturbent également le transport des sédiments.
Toujours selon Garcia de Leaniz :
Nous devons rappeler aux gens que des rivières saines sont des rivières qui coulent. Des rivières mieux connectées (qui coulent) signifient moins de risques d’inondation, des écosystèmes plus résistants, davantage d’eau pour des usages multiples et plus d’habitats disponibles pour de nombreuses espèces. Il faut se rappeler que le mouvement est la réponse universelle de la nature à l’adversité. Si les poissons ou d’autres organismes ne peuvent pas se déplacer parce qu’ils sont bloqués par des obstacles, ils ne peuvent pas utiliser tout l’habitat disponible et ils déclinent inévitablement, et ce sont les poissons migrateurs qui ont le plus souffert.
La plupart de ces obstacles sont inutilisables, à la grande frustration de tous, ce qui signifie qu’ils nuisent non seulement à l’environnement, mais qu’ils coûtent aussi de l’argent.
En 2019, le barrage de Vezins, haut de 36 mètres, a été supprimé en Belgique, dans le cadre d’une initiative visant à libérer la rivière Sélune et à y ramener saumons, anguilles et autres animaux sauvages. D’autres anciens barrages obsolètes ont depuis lors été supprimés ou sont en cours de suppression.
Démantèlement du barrage de Vezin en 2019. (Ouest-France)
Cette nouvelle étude, publiée cette semaine (lien plus bas), montre que ce ne sont pas seulement les barrages qui doivent nous préoccuper, mais aussi des obstacles moins visibles.
En vertu de la directive-cadre sur l’eau (DCE) de l’Union européenne, les gouvernements sont tenus de prendre des mesures visant à restaurer les rivières afin qu’elles atteignent un « bon état écologique » d’ici 2027. Maintenant que les scientifiques ont montré que les obstructions des rivières ont été considérablement sous-estimées, il reste à voir comment les résultats de la DCE seront affectés.
En attendant, Garcia de Leaniz et ses collègues préparent un nouveau projet appelé BLUE RIVERS, qui vise à « attirer l’attention sur la nécessité de reconnecter et de restaurer les rivières au niveau mondial ». Dans cette optique, ils ont développé un programme de science citoyenne/ participative et une application Barrier Tracker, auxquels vous êtes tous invités à participer.
En conclusion, Garcia de Leaniz a neuf points qu’il aimerait que les gens rapportent à la maison. Les barrières fluviales et leurs effets ne se limitent pas à l’Europe, donc elles s’appliquent partout.
- Les rivières sont parmi les écosystèmes les plus menacés au monde, mais aussi les plus utiles à la société
- Les rivières en bonne santé sont des rivières qui coulent
- Les rivières sont plus que des poissons
- Le poisson, c’est plus que le saumon
- Les barrières ne sont pas seulement des barrages
- Les grands barrages attirent l’attention… les petites barrières font le plus de dégâts
- Le captage d’eau n’est pas seulement de l’hydro
- Mieux vaut prévenir que guérir
- Tout le monde n’est pas aussi opposé aux barrages que nous le sommes…
L’étude publiée dans Nature : More than one million barriers fragment Europe’s rivers et présentée sur le site de l’niversité Swansea : Europe’s rivers are broken, but there is a fix et sur le site du AMBER : New AMBER publication in Nature: Europe’s rivers are broken, but there is a fix.