Cette plante a évolué pour devenir invisible aux yeux des humains
Les fritillaires, ou goganes, sont des plantes, généralement d’un vert vif, souvent isolées au milieu des éboulis qui dominent les montagnes de l’Himalaya et les monts Hengduan, dans le sud-ouest de la Chine, une cueillette facile pour les herboristes de la médecine traditionnelle chinoise, qui broient les bulbes des fritillaires sauvages pour en faire une poudre contre la toux très appréciée depuis plus de 2 000 ans. La demande en bulbes est importante, car il en faut environ 3 500 pour produire un seul kilogramme de poudre, d’une valeur de 480 dollars (405 eur).
Mais certaines fritillaires sont remarquablement difficiles à trouver, avec des feuilles et des tiges vivantes qui se distinguent à peine du fond gris ou brun rocheux. Étonnamment, ce camouflage végétal semble avoir évolué en fonction de l’homme. Les Fritillaria delavayi des régions qui subissent une plus grande pression due aux récoltes sont mieux camouflées que celles des régions moins récoltées, rapportent les chercheurs dans leur étude publiée la semaine dernière. Ainsi l’homme semble être le moteur de l’évolution très rapide du camouflage chez cette espèce.
Image d’entête : Fritillaria delavayi dans une population à faible pression de récolte. (Yang Niu)
Image résumant l’étude : à gauche, population de fritillaires camouflée; au milieu, les bulbes récoltés par les humains; à droite, population de fritillaires qui n’a pas eu à évoluer pour devenir invisible. (Yang Niu et Col./ Current Biology)
Pour Yang Niu, un botaniste de l’Institut de botanique de Kunming en Chine, qui étudie la coloration cryptique des plantes, celles qui se camouflent sont rares, mais pas inconnues,. Dans les grands espaces ouverts peu couverts, comme les sommets des montagnes, le fait de se fondre dans la nature peut aider les plantes à éviter les herbivores affamés. Mais après 5 ans d’étude du camouflage chez les Fritillaria, Niu a trouvé peu de traces de morsures sur les feuilles, et il n’a pas vu d’animaux grignoter les plantes. Pour Niu , “Ils ne semblent pas avoir d’ennemis naturels« .
Niu, son collègue Hang Sun et l’écologiste Martin Stevens de l’université d’Exeter, en Angleterre, ont donc décidé de voir si les humains pouvaient être à l’origine de l’évolution du camouflage des plantes. Si c’est le cas, plus un versant en particulier est exploité, plus les plantes qui y vivent devraient être dissimulées.
Dans un monde idéal, pour mesurer la pression qu’exercent les récoltes, « vous auriez des mesures exactes du nombre de plantes qui ont été récoltées pendant des centaines d’années » sur plusieurs sites, explique Stevens. « Mais ces données sont pratiquement inexistantes ».
Heureusement, sur 7 sites d’étude, les herboristes locaux avaient noté le poids total des bulbes récoltés chaque année de 2014 à 2019. Ces relevés ont permis de mesurer la pression actuelle sur les récoltes. Pour remonter plus loin dans le temps, les chercheurs ont évalué la facilité des récoltes en notant le temps nécessaire pour déterrer les bulbes sur 6 de ces sites, plus un autre. Sur certaines pentes, les bulbes sont facilement déterrés, mais sur d’autres, ils peuvent être enterrés sous des piles de roches. « Intuitivement, les zones où il est plus facile de récolter devraient avoir subi une plus grande pression de récolte » au fil du temps, dit Stevens.
Les deux mesures ont révélé un schéma frappant : Plus un site est récolté, ou exploitable, plus la couleur d’une plante correspond à son arrière-plan, tel que mesuré par un spectromètre.
Selon Stevens :
Le degré de corrélation était vraiment, vraiment convaincant pour les deux mesures que nous avons utilisées.
L’œil humain a également eu plus de mal à repérer les plantes camouflées dans une expérience en ligne, ce qui suggère que le camouflage fonctionne réellement.
Variation de la couleur des plantes de Fritillaria delavayi. (A et B) Individus verts normaux dans des populations à faible pression de récolte. (C et D) Individus camouflés dans les populations où la pression de récolte est élevée. (Yang Niu et Col./ Current Biology)
Se cacher à la vue des humains peut représenter un défi pour la plante. Les pollinisateurs pourraient avoir plus de mal à trouver les plantes camouflées, et la coloration grise et brune pourrait nuire à l’activité de photosynthèse. Pourtant, malgré ces coûts potentiels, ces F. delavayi montrent à quel point les plantes peuvent s’adapter.
L’étude publiée dans Current Biology: Commercial Harvesting Has Driven the Evolution of Camouflage in an Alpine Plant et présentée sur le site de l’Université d’Exeter : Plant evolves to become less visible to humans.
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