Effet spectateur : les rats aideront leurs congénères en détresse, mais ils peuvent être aussi influencés pour ne pas le faire
Selon une nouvelle étude de l’université de Chicago (Etats_Unis), les rats sont moins susceptibles d’aider un compagnon piégé s’il y a d’autres rats dans les environs qui n’aident pas. En d’autres termes, les rats peuvent également présenter un « effet spectateur » (ou effet du témoin) sociopsychologique.
En 1964, Kitty Genovese, 28 ans, fut brutalement assassinée alors qu’elle rentrait chez elle à pied, de nuit, à New York. Selon un article à sensation publié dans le New York Times de l’époque, 38 témoins ont assisté aux coups de couteau, mais ils ne sont pas intervenus et n’ont appelé la police qu’après la fuite de l’agresseur. L’article original était un peu exagéré, mais il est toujours cité non seulement dans les médias, mais aussi dans les manuels de psychologie, surtout parce qu’il sert de parabole pour un effet psychologique important. Kitty Genovese n’a pas été aidée, mais peut-être que quelque chose de bon pourrait sortir de cette histoire.
L’effet est maintenant appelé l’effet spectateur, et il suppose que les individus sont moins susceptibles d’offrir de l’aide à une victime quand il y a d’autres personnes présentes. Plus le nombre de participants est important, plus la responsabilité perçue est diffusée au sein du groupe, et les gens sont moins susceptibles d’agir (notamment via la diffusion de la responsabilité, le sentiment que quelqu’un d’autre est susceptible d’intervenir pour que vous n’ayez pas à le faire). Il s’agit toujours d’un domaine de recherche actif et la théorie est contestée par certaines études, mais maintenant, les choses sont encore plus intrigantes : car il semble que l’effet spectateur ne se limite pas aux humains.
L’étude a débuté en 2011, lorsque Peggy Mason, professeur de neurobiologie, a découvert que les rats libèrent systématiquement leurs compagnons piégés, renonçant même à un peu de chocolat à leur intention. L’empathie des rats a été démontrée dans plusieurs études ultérieures, et c’est déjà un phénomène bien établi.
Image tirée des expériences réalisées par Peggy Mason et ses collègues de l’université de Chicago en 2011. (Inbal Ben-Ami Bartal et Coll./ Science)
Mais Mason a également découvert que lorsque les rats sont traités avec des médicaments contre l’anxiété, ils ont moins de chances de libérer un compagnon piégé, car ils sont moins susceptibles de ressentir son anxiété. Dans une autre étude, les chercheurs ont découvert que les rats hésitaient à sauver des inconnus, et ne libéraient que les rats piégés qu’ils connaissaient bien. L’empathie des rats est remarquablement similaire à l’empathie humaine, peut-être à plus d’égards que nous ne voudrions l’admettre.
Cependant, ce n’est que récemment que le premier auteur, John Havlik, alors étudiant à l’université de Chicago, a soulevé ce point lors d’une réunion de laboratoire.
Selon Mason :
Pendant des années, mes étudiants m’ont incité à faire cette expérience . Mais ce n’est que lorsque John est arrivé et n’a pas voulu laisser passer l’idée que nous avons fait le grand saut.
Havlik s’est chargé de tester l’effet spectateur sur des rats, mais cela n’a pas été facile. D’abord, il devait s’assurer que certains rats n’aideraient pas. C’est là qu’il s’est servi de précédentes recherches sur les médicaments contre l’anxiété pour transformer certains rats en spectateurs passifs. Il a ensuite testé l’effet d’autres rats, pour voir s’ils étaient moins susceptibles d’intervenir et d’aider leurs congénères si des spectateurs passifs se trouvaient à proximité. C’est ce qu’ils ont fait.
Toujours selon Mason :
Il est pire d’avoir un public qui ne réagit pas que d’être seul. Les rats essaient d’aider, mais ce n’est pas une expérience enrichissante parce que les autres rats ne semblent pas s’en soucier. C’est comme si le rat se disait : « J’ai aidé hier et personne ne s’en est soucié. Je ne le ferai plus ».
Le fait est que nous ne savons pas vraiment si l’effet de spectateur est réel, et comment il se manifeste exactement. Il semble que tant chez les rats que chez les humains, le groupe a tendance à accentuer ce comportement, mais on ne sait pas toujours très bien quel est-il.
Mason a essayé quelque chose de différent : elle a recréé le même scénario, mais sans droguer les rongeurs. En d’autres termes, les rats n’étaient pas forcés d’être des spectateurs passifs, ils étaient des spectateurs qui faisaient leurs propres choix.
Contrairement à ce qui était prévu, les équipes de rats étaient en fait plus susceptibles d’aider que les rats seuls.
Selon Havlik :
Au début, je pensais que l’expérience avait échoué. Mais après avoir fait plus de recherches sur les études humaines, nous avons réalisé que le comportement s’est en fait reflété chez les humains aussi.
Cela semble aller à l’encontre de tout ce que nous savons sur l’effet de spectateur, mais il s’avère qu’une étude sur les images de surveillance publiée l’année dernière a montré que les humains ont en fait aidé dans plus de 90% des rencontres violentes.
Le fait est que (comme c’est souvent le cas dans la recherche en psychologie) nous ne comprenons pas entièrement l’effet. Mais, quelles que soient ses implications, il faut désormais savoir que les humains ne sont pas les seuls à manifester ce type de comportement. Les rats semblent être tout aussi empathiques et confus que nous.
Selon la coauteure de l’étude, Maura Jacobi de l’Université de Chicago :
La raison pour laquelle nous voyons ces modèles de serviabilité est plus profonde que les leçons que nous avons apprises à la maternelle sur le fait d’être gentil les uns avec les autres. C’est un phénomène qui n’est pas exclusif aux humains.
L’étude publiée dans Science Advances : The bystander effect in rats et présentée sur le site du Centre médical de l’université de Chicago : UChicago study shows « Bystander Effect » not exclusive to humans.