Étude de cas : un homme qui peut voir les lettres, mais pas les chiffres
Des chercheurs décrivent dans une nouvelle étude le cas d’un homme qui ne peut pas voir les chiffres alors qu’il peut voir les lettres, même si des tests neuronaux ont montré que son cerveau peut les percevoir tous deux de la même façon.
Image d’entête : ce que voit le sujet de cette étude (RFS) lorsqu’on lui présente un chiffre. (Université Johns Hopkins)
Cela suggère que le traitement complexe et sophistiqué nécessaire pour détecter et identifier les stimuli visuels n’est pas suffisant pour le rendre conscient.
L’homme de 60 ans, dont les initiales sont RFS, souffre d’un trouble cérébral rare et dégénératif qui affecte sa mémoire et sa capacité à contrôler ses muscles et ses mouvements. Mais c’est son incapacité inhabituelle à voir les chiffres (« métamorphopsie » sélective, ou perception déformée) qui a laissé Teresa Schubert, de l’université de Harvard, aux États-Unis, et ses collègues perplexes.
Lorsque RFS regarde n’importe quel nombre, de 2 à 9, seul ou combiné, il voit un mélange de lignes enchevêtrées qu’il décrit comme des spaghettis, explique-t-il (image d’entête). Pourtant, sa vision est autrement normale. Et si vous mettez quelque chose d’autre à côté, il ne peut pas le voir non plus, il se déforme comme le nombre lui-même.
Par exemple, lorsqu’on lui a montré un grand 3 avec l’image d’un violon, il ne pouvait pas voir ce dernier. Mais lorsqu’il était suffisamment éloigné du chiffre, il pouvait le voir (le violon) normalement.
L’énigme est qu’un tel déficit sélectif exigerait que son cerveau reconnaisse d’une manière ou d’une autre les chiffres.
Lorsqu’il regarde un chiffre, son cerveau doit « voir » que celui-ci en est un avant qu’il ne puisse le voir. “C’est un véritable paradoxe », déclare l’auteur principal Michael McCloskey de l’université Johns Hopkins, aux États-Unis, qui ajoute :
Dans cet exposé, nous avons essayé d’étudier les processus de traitement qui se déroulent en dehors de sa conscience.
L’équipe a utilisé une technique d’enregistrement de l’activité neuronale, désignée potentiel évoqué, pour mesurer de minuscules courants électriques sur le cuir chevelu de RFS, alors qu’il regardait de gros chiffres puis de grosses lettres qui contenaient chacune un mot ou un visage.
Que les objets se trouvent sur un chiffre ou une lettre, les processus neuronaux étaient identiques dans chaque cas, ce qui suggère que son cerveau les a vus. Pourtant, il n’avait pas du tout conscience des objets lorsqu’ils se trouvaient sur le chiffre.
Et sa perception cérébrale était très spécifique ; par exemple, il ne se contentait pas de détecter un mot sur un chiffre, mais il identifiait le mot lui-même.
Selon Schubert, les résultats montrent qu’un traitement visuel non conscient peut se produire sans que nous en soyons conscients.
Il est prouvé depuis de nombreuses années que tout le traitement visuel dans le cerveau ne conduit pas à la conscience, mais ce cas le démontre de manière particulièrement frappante et claire.
Cette étude est un excellent exemple de la façon dont des déficits cognitifs inhabituels peuvent révéler une compréhension profonde du fonctionnement du cerveau.
L’étude publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences : Lack of awareness despite complex visual processing: Evidence from event-related potentials in a case of selective metamorphopsia et présentée sur le site de l’université Johns Hopkins : Insight without sight.