Ils ont trouvé la matière manquante à l’Univers à l’aide de puissantes et lointaines ondes radio
Nos théories sur l’Univers ont un problème de matière manquante : la moitié fait défaut. Mais ce « problème des baryons manquants« , l’une des énigmes les plus persistantes de la cosmologie, est maintenant résolu. Des astronomes ont utilisé de puissantes ondes radio provenant de lointaines galaxies pour sonder l’espace entre les étoiles et révéler où se cachait la matière qui fait défaut à l’Univers.
Image d’entête : le télescope ASKAP du CSIRO (Australie) détectant de nouveaux sursauts radio rapides, de puissantes ondes radio provenant de lointaines galaxies. (ICRAR/ CSIRO/ Alex Cherney)
Dans les vastes gouffres qui séparent les galaxies, un gaz si fin qu’il ne peut être détecté par d’autres instruments a étiré ces signaux radio de plusieurs millisecondes juste assez pour que nous puissions le mesurer.
Des simulations sur ordinateur suggèrent que la matière dans l’univers est distribuée dans une “toile cosmique ” de filaments, comme on le voit dans l’image ci-dessous, à partir d’une simulation de la matière noire à grande échelle (simulation du Bolchoï. Anatoly Klypin et Joel Primack).
Grâce à ces mesures, les astronomes ont découvert qu’un gaz extrêmement diffus peut expliquer toute la matière « normale » manquante dans l’Univers.
Selon l’astronome J. Xavier Prochaska, de l’université de Santa Cruz (Etats-Unis) :
La découverte de sursauts radio rapides et leur localisation dans des galaxies lointaines ont été les principales percées nécessaires pour résoudre ce mystère.
Le problème de la matière absente a longtemps laissé les astronomes perplexes. Nous connaissons approximativement la composition matière-énergie de l’Univers. Environ 68 % de l’Univers est constitué d’énergie noire, et 27 % de matière noire. C’est une chose que nous ne pouvons pas détecter directement (et nous ne savons même pas ce que c’est).
La matière manquante que l’équipe d’astronomes à localiser tient dans la part jaune de ce graphique présentant la matière de l’univers et l’énergie.
Les 5 % restants sont des choses que nous pouvons détecter, de la matière normale, ou baryonique, composée de particules baryoniques. Les étoiles, les planètes, les nébuleuses, le plasma et même les trous noirs sont tous constitués de matière baryonique. Vous et moi sommes de la matière baryonique. C’est l’élément constitutif de tout ce que nous pouvons voir.
Le rayonnement résiduel du Big Bang qui peut être détecté dans tout l’Univers, le fond diffus cosmologique (image ci-dessous), nous permet de savoir quelle était la quantité de matière baryonique au début de l’Univers. Mais il y a quelques décennies, lorsque les astronomes ont commencé à comparer cette quantité à la matière baryonique que nous pouvons détecter aujourd’hui, ils n’en ont trouvé que la moitié environ.
La carte ci-dessous présente la plus ancienne lumière dans notre univers, comme elle a été détectée avec la plus grande précision par la mission Planck. La lumière antique, appelée le fond diffus cosmologique, a été imprimée sur le ciel quand l’univers avait 370 000 ans. Elle montre les minuscules fluctuations de température qui correspondent aux régions aux densités légèrement différentes, représentant les graines de toute la future structure : les étoiles et les galaxies d’aujourd’hui.
La destination du reste est un mystère depuis, mais il y a eu des indices. Des techniques telles que l’analyse de la lumière voyageant depuis de lointaines galaxies quasars ont révélé de petites quantités très spécifiques d’hydrogène atomique, ou de matière proche des galaxies.
La diffusion des photons du fond diffus cosmologique par des amas de galaxies a révélé de la matière proche des galaxies ou dans des structures filamentaires.
Mais plus loin des galaxies, les étendues sombres de l’espace sont beaucoup plus difficiles à sonder.
Selon l’astronome Jean-Pierre Macquart de l’université Curtin (Australie) :
L’espace intergalactique est très peu dense. La matière manquante n’équivaut qu’à un ou deux atomes dans une pièce de la taille d’un bureau moyen.
Il était donc très difficile de détecter cette matière en utilisant les techniques et les télescopes traditionnels.
C’est là qu’interviennent les sursauts radio rapides (FRB pour fast radio burst). Il s’agit d’ondes radio extrêmement puissantes provenant des profondeurs de l’espace, qui émettent des radiations équivalant à des centaines de millions de soleils, en l’espace de quelques millisecondes seulement. La plupart d’entre elles n’ont été détectées qu’une seule fois. Elles sont donc extrêmement difficiles à prévoir et à localiser.
Le voyage d’un FRB vers la Terre
Nous ne savons pas ce qu’elles sont (bien que les preuves indiquent de plus en plus que les magnétars en sont au moins une cause), mais l’année dernière, les astronomes ont découvert et affiné la façon de remonter jusqu’aux galaxies qui les ont émises (voir l’article du Guru ci-dessous).
Cela signifie que nous pouvons calculer la distance qu’ils ont parcourue. En retour, que nous sachions ou non ce qui les produit, les FRB sont devenus un outil précieux pour sonder l’espace.
En effet, nous savons que les radiations quittent leur source sous la forme d’un faisceau compact sur l’ensemble du spectre radioélectrique. Mais lorsqu’il arrive ici, détecté par nos télescopes, le signal est étiré, certaines longueurs d’onde atteignant des fractions de milliseconde avant d’autres. Cela peut être analysé dans le contexte de la distance parcourue pour calculer la quantité de matière traversée par le signal, afin de créer la résistance nécessaire à la dispersion de cette longueur d’onde.
Lorsque le sursaut radio rapide (FRB) voyage dans un espace complètement vide, toutes les longueurs d’onde se déplacent à la même vitesse, mais lorsqu’il traverse la matière manquante, certaines longueurs d’onde sont ralenties. (ICRAR)
L’équipe a utilisé cette technique sur un certain nombre de sursauts radio rapides récemment localisés, certains à des milliards d’années-lumière de distance, pour calculer la teneur en gaz du milieu intergalactique.
Selon Macquart :
Le rayonnement des ondes radio rapides est diffusé par la matière manquante de la même manière que les couleurs de la lumière du soleil sont séparées dans un prisme.
Nous avons maintenant pu mesurer les distances d’un nombre suffisant d’éclats radio rapides pour déterminer la densité de l’Univers. Nous n’en avons eu besoin que de six pour trouver cette matière manquante.
Les signaux radio ne sont pas suffisants pour déterminer la composition de la matière (il s’agit probablement principalement d’hydrogène et d’hélium), mais la quantité calculée à partir des FRB était conforme à la quantité de matière prédite à partir des mesures du fond diffus cosmologique.
C’est un résultat stupéfiant, la meilleure preuve à ce jour que la matière manquante se cache dans un espace qui n’est pas si vide après tout. Mais il reste encore beaucoup de travail à faire. Ce résultat est basé sur une poignée de signaux seulement, en analyser davantage aiderait à caractériser la matière de manière plus complète, en fournissant non seulement une détection, mais aussi des emplacements et la manière dont elle est distribuée.
Les endroits où la matière manquante est la plus concentrée, autour des galaxies ou à distance de celles-ci, pourraient alors fournir des informations essentielles qui aideraient à comprendre comment l’Univers a évolué.
L’étude publiée dans Nature : A census of baryons in the Universe from localized fast radio bursts et présentée sur le site de l’International Centre for Radio Astronomy Research : Cosmic bursts unveil Universe’s missing matter.