Boto : les dauphins d’eau douce se révèlent être beaucoup plus bavards que prévu
Un rare dauphin d’eau douce (boto) que l’on croit solitaire et le plus souvent silencieux s’est révélé capable de produire des centaines de sons, ce qui soulève des questions sur l’évolution de la communication chez les mammifères marins.
Image d’entête : un boto de l’Araguaia nageant dans la rivière Araguaia près d’un marché aux poissons dans la ville brésilienne de Mocajuba. (Paulo Castro)
Le dauphin de rivière, le boto de l’Araguaia (Inia araguaiaensis), est un proche parent du dauphin de rivière amazonien, le boto (Inia geoffrensis).
Une contrainte majeure dans l’étude du comportement des dauphins d’eau douce est que, contrairement à leurs parents marins, ils n’effectuent pas d’observations en surface, ce qui rend très difficile l’identification des individus sur le terrain. Les botos de l’Araguaia sont également timides, s’éloignant des observateurs pour se cacher dans l’habitat complexe de la végétation fluviale.
Récemment, une occasion unique a permis aux chercheurs d’étudier un petit groupe de mammifères, qui visite régulièrement un marché aux poissons dans le système fluvial Araguaia-Tocantins au Brésil.
L’étude, dirigée par Laura May-Collado de l’université du Vermont, aux États-Unis, a combiné technologie acoustique avec des observations comportementales sous-marines lorsque les dauphins sont arrivés près du marché pour être nourris par les habitants et les touristes.
Ce genre de dauphin d’eau douce a été peu étudié, de sorte que les chercheurs s’attendaient à trouver davantage de signaux acoustiques que ceux enregistrés précédemment mais, malgré cela, les résultats furent surprenants. Des enregistrements sous-marins ont été réalisés en même temps que des séquences vidéo, ce qui a permis d’obtenir 15,7 heures d’enregistrement acoustique.
Des informations telles que le sexe, l’âge et les marques naturelles sur les parties dorsale et ventrale du corps ont été consignées, ainsi que des comportements spécifiques. Plus de la moitié des animaux étudiés ont pu être identifiés individuellement.
De retour au laboratoire, les enregistrements sonores ont d’abord été soumis à une analyse spectrographique. Tous les sifflements et les appels pulsés ont été sélectionnés pour un examen plus approfondi à l’aide d’un programme appelé ARTwarp. Les sons ont été classés en fonction de leur durée et de la présence de phénomènes non linéaires tels que les sous-harmonique ou la biphonation (l’harmonisation de deux notes en même temps).
Les résultats révèlent que la communication vocale chez les boto de l’Araguaia, au lieu d’être essentiellement silencieuse comme on l’avait supposé précédemment, est à égalité avec celle de leurs homologues marins.
Même si l’équipe a capté 727 signaux acoustiques de bonne qualité pour 237 types de sons, May-Collado estime que la taille de l’échantillon n’était pas suffisante pour saisir tout le répertoire.
Selon May-Collado :
Nous avons constaté qu’ils interagissent socialement et qu’ils font plus de bruit qu’on ne le pensait auparavant. Leur répertoire vocal est très varié.
Le son le plus courant était un appel court à deux composantes, produit par de jeunes dauphins lorsqu’ils approchaient leur mère après une courte séparation.
C’est excitant ; les dauphins marins comme le grand nez utilisent des sifflements pour le contact, et ici nous avons un son différent utilisé par les dauphins de rivière pour le même but.
La fréquence des appels était également unique, se situant entre les clics et sifflements à haute fréquence des odontocètes (cétacés à dents) et des dauphins, et les appels à basse fréquence des espèces à fanons.
May-Collado spécule que l’habitat fluvial a joué un rôle moteur dans l’évolution de la fréquence intermédiaire et selon elle :
Il y a beaucoup d’obstacles comme les forêts inondées et la végétation dans leur habitat, alors ce signal aurait pu évoluer pour éviter les échos de la végétation et améliorer la portée de communication des mères et de leurs petits.
La nature non linéaire des appels enregistrés, y compris la sous-harmonique et la biphonation, est semblable à celle des baleines à dents comme les globicéphales communs (Globicephala melas). Ces complexités acoustiques sont censées véhiculer des informations sur l’identité du groupe et le maintien de la cohésion sociale, voire de l’identité ou de l’état émotionnel d’un individu.
Les botos sont ce qui est appelé des « reliques évolutionnaires », et leur histoire évolutionnaire fait encore l’objet de débats. Selon une hypothèse, leurs ancêtres étaient des espèces marines côtières qui se sont ensuite échouées dans des systèmes d’eau douce lorsque le niveau de la mer a chuté au Cénozoïque moyen, il y a environ 20 millions d’années.
Étant donné que la plupart des interactions comportementales et des appels des boto de l’Araguaia ont été observés entre les mères et leurs petits, plutôt que des appels sociaux complexes entre groupes, May-Collado et ses collègues croient que leurs conclusions peuvent éclairer la façon dont la communication a évolué chez les mammifères marins.
Selon les chercheurs :
Ces signaux auraient pu évoluer au début de l’histoire de l’évolution des baleines à dents en tant qu’appels sociaux, probablement en tant qu’appels de contact mère/petit, et que plus tard dans leur histoire, leur fonction a évolué en reconnaissance collective ou familiale.
Il reste encore du travail à faire. Des études doivent être entreprises dans les zones où les mammifères ne sont pas habitués aux humains afin de vérifier les différences possibles entre les populations avec et sans contact avec nous. En outre, le comportement de communication acoustique d’autres genres de dauphins d’eau douce doit être étudié.
L’étude publiée dans PeerJ : The newly described Araguaian river dolphins, Inia araguaiaensis (Cetartiodactyla, Iniidae), produce a diverse repertoire of acoustic signals et présentée sur le site de l’université du Vermont : Mysterious River Dolphin Helps Crack the Code of Marine Mammal Communication.
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