Des poissons peuvent se reconnaître dans un miroir : cela signifie-t-il qu’ils sont conscients d’eux-mêmes ?
Une nouvelle étude a démontré qu’une espèce de poisson répond aux critères expérimentaux de la prise de conscience de soi.
Mais la recherche elle-même remet délibérément en question l’un des outils clés utilisés pour évaluer cette cognition/ compréhension, et un abécédaire du légendaire primatologue néerlandais Frans de Waal nous invite à redéfinir la notion même de la conscience de soi.
Le labre nettoyeur (Labroides dimidiatus), un petit poisson qui vit des parasites et des tissus morts d’autres espèces de poissons dans un arrangement mutuellement avantageux, est au cœur de cette recherche.
Les auteurs de l’étude, dirigée par Alex Jordan de l’Institut Max Planck d’ornithologie (MPIO) en Allemagne, prétendent avoir démontré expérimentalement que ces petites créatures réagissent à leur réflexion dans un miroir, connu sous le nom de test du miroir.
Plus précisément, les chercheurs affirment que le labre nettoyeur a réussi un essai clé appelé « test de la tache/ marque », utilisé pour établir la conscience de soi, en répondant et en essayant d’enlever des taches colorées sur leur corps qui ne peuvent être vues que dans un miroir. La conscience de soi est peut-être la forme la plus élevée de cognition : là où la conscience est celle du monde qui nous entoure, la conscience de soi est la conscience de cette conscience…
Le test du miroir a été développé pour la première fois par le psychologue Gordon G. Gallup dans les années 1970 et il est devenu le test standard pour la cognition chez toutes les espèces. Et le test de la tache, selon Jordan et ses collègues :
…est considéré comme le test comportemental de référence pour évaluer si une personne a la capacité de se reconnaître elle-même.
Les tests ont été conçus à l’origine pour l’étude des primates, mais ils se sont répandus bien au-delà de la frontière des espèces. Seules quelques unes sélectionnées peuvent passer le test : les humains, les chimpanzés, les éléphants, les dauphins et une espèce non mammifère, la pie bavarde (Pica pica). Jusqu’à présent, la réussite au test d’évaluation était largement considérée comme une preuve d’une conscience de soi.
Jordan et ses collègues ajoutent maintenant le labre nettoyeur à cette liste restreinte.
Ce sont des organismes très sociaux et ils se nourrissent en identifiant visuellement les parasites sur la peau des autres poissons, de sorte que les chercheurs ont pensé qu’ils disposaient de l’appareil sensoriel requis et de la capacité cognitive associée pour passer le test des taches.
Celui-ci se divise en 3 phases : l’introduction du miroir, dont la réflexion est considérée comme un autre membre de la même espèce. Ceci est souvent caractérisé par des tentatives de signalisation sociale ou d’agression. Au cours de la deuxième phase, l’organisme évalue si la réflexion est réellement celle du sujet d’essai en utilisant un comportement idiosyncrasique, comme de nager à l’envers. La troisième phase se caractérise par l’observation et l’exploration du corps du sujet dans le miroir. Lorsque cette troisième phase est terminée, le test des taches peut être entrepris.
Les scientifiques ont injecté un polymère synthétique connu sous le nom d’élastomère sous la peau des deux côtés du poisson. Un côté était clair, tandis que l’autre était coloré pour ressembler à un parasite, essayant ainsi de contrôler l’irritation causée par l’intervention.
Ils ont observé les poissons posant devant le miroir pour leur permettre d’observer plus clairement les marques, puis ils ont tenté d’enlever l’élastomère coloré en se grattant, frottant le côté du corps contre une surface dure.
Alex Jordan de l’Institut Max Planck d’ornithologie. (S. Gingins)
Selon Jordan :
Les comportements que nous observons ne laissent aucun doute sur le fait que ce poisson répond à tous les critères du test du miroir tel qu’il a été conçu à l’origine.
De là, ils ne posent que trois conclusions possibles : les comportements observés ont été mal interprétés et les poissons n’ont donc pas réussi le test ; ils ont réussi le test et sont conscients d’eux-mêmes ; ou » que le labre nettoyeur passe le test de la tache, mais cela ne signifie pas qu’ils savent ce qui se passe « .
Ils rejettent la première possibilité et sont extrêmement sceptiques à l’égard de la seconde, affirmant que « cela nécessiterait un réajustement sismique de notre scala naturae cognitive » (une référence à “l’échelle des êtres” de Platon), et optent plutôt pour la troisième conclusion.
Alors, qu’est-ce que ça veut dire ? Cela remet, en partie, en question le test du miroir et corrige les tests eux-mêmes. Les deux perdent de leur légitimité à mesure que l’on s’éloigne des grands singes et des humains, avec une certitude décroissante à mesure que « la distance taxonomique augmente entre l’espèce testée et les taxons de primates pour lesquels le test a été initialement conçu« .
Mais cela jette aussi le doute sur le modèle souvent supposé du tout ou rien de la conscience de soi et de la cognition, que Frans de Waal appelle la « théorie du Big Bang de la conscience de soi ».
Plutôt que d’avoir l’impression que la conscience de soi semble s’être pleinement formée chez quelques privilégiés, il préconise un modèle progressif, dans lequel il existe différents niveaux pour de nombreuses espèces.
Frans de Waal se demande :
Et si la conscience de soi se développait comme un oignon, se construisant couche après couche, plutôt que d’apparaître d’un seul coup ?
En effet, lui aussi doute que le labre nettoyeur soit conscient de lui-même dans le sens où les humains et les chimpanzés le sont. Il soutient plutôt que le travail de Jordan et de son équipe indique une étape intermédiaire dans la prise de conscience de soi.
L’étude publiée dans PLOS Biology : If a fish can pass the mark test, what are the implications for consciousness and self-awareness testing in animals? et présentée sur le site du : Are fish aware of themselves?
Qu’est-ce qui pousse à dire que les poissons ne sont pas conscients d’eux-mêmes? Rien de particulier sauf de dire dans le fond que ce n’est pas ce qui était dit avant. Ce n’est pas très scientifique de la part des scientifiques en question.