Comment vos gènes de néandertaliens pourraient influencer la forme de votre cerveau
Selon une analyse publiée cette semaine (lien plus bas), des chercheurs ont découvert ce qui rend le cerveau humain plus bulbeux/ sphérique que notre plus proche parent évolutionnaire, le Néandertalien, bien qu’il ait disparu il y a des millénaires.
GIF d’entête : les crânes néandertaliens (à gauche) sont plus allongés que les crânes humains modernes. (Philipp Gunz)
L’Homo sapiens anatomiquement moderne et les Néandertaliens ont coexisté en Eurasie pendant plusieurs milliers d’années avant que ces derniers ne disparaissent il y a environ 40 000 ans. Mais les Néandertaliens ne partageaient pas seulement leur lieu de résidence avec nos ancêtres directs. Ils marchaient comme nous, fabriquaient des bijoux et des outils en os comme nous, et ils ont même grandi avec nous. En fait, les faibles échos de ces accouplements inter-espèces peuvent être observés chez tous les humains modernes d’origine non africaine, sous forme de traces d’ADN néandertalien disséminées dans le génome de l’Homo sapiens.
Mais ils ne nous ressemblaient pas vraiment. Ils avaient des jambes plus courtes et une poitrine plus large. Leurs têtes aussi avaient l’air différentes. Ils avaient des visages plus grands et, malgré des cerveaux de taille similaire, l’arrière de leur tête, et donc le cerveau qu’ils contenaient, était plus allongé.
Une grande équipe internationale de chercheurs, dirigée par Philipp Gunz de l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutionnaire en Allemagne, a maintenant examiné de près ces différences de forme du crâne et les a liées à la dissémination des séquences génétiques néandertaliennes dans le génome des Européens modernes.
Pour quantifier les différences de forme cérébrale entre les espèces, Gunz et ses collègues ont effectué des tomodensitogrammes de sept crânes néandertaliens et de 19 crânes européens modernes pour générer des empreintes virtuelles de la boîte crânienne intérieure.
A partir de l’étude. (Philipp Gunz et col./ Current Biology)
L’équipe a utilisé les scans pour calculer les différences moyennes entre les formes cérébrales des Néandertaliens et des humains et elle a trouvé une mesure de « globularité » (cerveau sphérique ou allonger). Ils ont ensuite utilisé cette mesure sur des images obtenues par imagerie par résonance magnétique (IRM) de plus de 4000 Européens pour lesquels des données génomiques étaient également disponibles. Dans l’échantillon, certains cerveaux étaient plus sphériques que d’autres.
Ensuite, ils se sont tournés vers les données génomiques de la cohorte et ils ont examiné plus de 50 000 sites où l’on peut trouver des séquences d’ADN néanderthalien. Les non-africains ont, en moyenne, 1 à 2% de séquences néandertaliennes dans leur génome. Mais parce que le 1% d’une personne n’est pas le même que le 1% d’une autre, les humains modernes contiennent collectivement environ 40% de l’ensemble du génome néandertalien.
L’équipe a cherché des cas où la présence d’une séquence néandertalienne se reflétait dans un cerveau moins globulaire.
Selon M. Gunz :
Lorsque nous examinons les cerveaux allongés par rapport aux cerveaux ronds, nous constatons des différences dans la vitesse et le moment de la croissance du cerveau.
Avant la naissance, et pendant les deux premières années de développement, nos crânes sont mous et fins et prennent la forme sphéroïdale du cerveau qui se développe.
Si vous grandissez très vite, très tôt, plus l’os est mince et plus les sutures sont larges, plus vous devenez rond. Si la croissance du cerveau est plus lente, les os crâniens sont plus épais et plus résistants, et le résultat final est plus allongé.
Tomodensitogrammes révélant les différentes formes d’un crâne néandertalien (à gauche) et les crânes des humains modernes aux stades adulte, juvénile et fœtal. (Philipp Gunz)
Deux séquences du génome néandertalien sur les chromosomes 1 et 18 sont ressorties de l’analyse comme étant associées à une forme moins globulaire du cerveau. Dans les deux cas, les séquences ne sont pas localisées à l’intérieur d’un gène, donc elles n’affectent pas la protéine qui est en train de se développer. Elles se trouvent plutôt dans des séquences adjacentes qui peuvent influer sur la façon dont un gène est régulé.
Les deux gènes affectés, appelés UBR4 et PHLPP1, sont respectivement liés au développement du cerveau (neurogenèse) et à l’isolation des cellules du cerveau (myélinisation). La variante néandertalienne d’UBR4 compose l’activité du gène adjacent. Dans le cerveau, UBR4 est actif dans une région appelée putamen, qui fait partie des ganglions de la base, une zone importante pour le contrôle et la coordination motrice fine. Les souris qui n’ont pas de gène UBR4 fonctionnel développent une microcéphalie, une pathologie qui empêche le cerveau d’atteindre sa taille maximale.
Toujours selon Gunz :
Le contrôle de la motricité fine est nécessaire pour le développement de la parole, donc ces régions jouent un rôle important dans l’acquisition du langage et le développement de la parole.
Si on veut spéculer sur ce que pourrait être l’impact dans la vraie vie, peut-être qu’il te faudra un peu plus de temps pour acquérir la parole.
La présence ou l’absence de variantes néandertaliennes à cet endroit du génome pourrait expliquer en partie l’énorme variation du temps qu’il faut aux jeunes enfants pour apprendre à parler.
Mais il est beaucoup trop tôt pour le dire et il n’est pas clair du tout que la variante néandertalienne est en quelque sorte pire que la variante humaine moderne. Ce serait peut-être mieux.
La variante néandertalienne près du gène PHLPP1 atténue probablement la connectivité de la substance blanche au cervelet, une région qui régule les mouvements moteurs. Les différences de forme cérébrale sont l’une des principales distinctions entre nous et les Néandertaliens, et elles sous-tendent très probablement certaines des principales différences de comportement entre nos espèces. Mais on ne sait pas exactement dans quelle mesure les variantes néandertaliennes identifiées dans cette étude ont un impact sur le fonctionnement des cerveaux modernes, si tant est qu’elles en aient un.
Pour Gunz :
Il est impossible de prédire quels pourraient être les corrélats cognitifs. Toute différence entre les humains modernes portant ces variantes serait très subtile.
Je ne veux pas donner l’impression que je fais la promotion d’un nouveau genre de phrénologie. Nous n’essayons pas d’argumenter que la forme du cerveau est sous sélection directe, et que la forme du cerveau est directement liée au comportement.
Cela suggère que, du moins en termes de forme cérébrale, certaines de ces séquences fantomatiques néandertaliennes fonctionnent encore chez les humains modernes.
La forme endocrânienne est un trait complexe. Nous nous attendons à ce qu’il soit influencé par de nombreux loci génétiques, chacun n’ayant qu’un faible effet.
M. Gunz et ses collègues se lancent maintenant dans une étude beaucoup plus vaste, englobant plus de 100 000 personnes dont les données génétiques et les IRM combinées seront stockées dans la Biobanque du Royaume-Uni. Ils espèrent qu’il s’agira d’un échantillon suffisamment grand pour éliminer les variantes néandertaliennes plus rares qui sont associées aux différences de forme du cerveau.
L’étude publiée dans Current Biology : Neandertal Introgression Sheds Light on Modern Human Endocranial Globularity et présentée sur le site de l’Institut Max Planck : Neandertal genes influence brain development of modern humans.