Cette araignée sauteuse allaite ses petits
Une nouvelle étude révèle que les petits d’une espèce d’araignée sauteuse sont entièrement dépendants d’une substance excrétée par la mère qui ressemble à du lait. L’allaitement se poursuit pendant 40 jours, bien au-delà du moment où les jeunes peuvent se nourrir par eux-mêmes.
La méthode d’alimentation, selon des chercheurs dirigés par Zhanqi Chen de l’Académie chinoise des sciences du Yunnan, se compare sur le plan fonctionnel et comportemental à la lactation chez les mammifères.
L’araignée en question, la Toxeus magnus est une toute petite araignée noire qui imite les fourmis, pour mieux les manger.
Comme pour l’image d’entête, l’araignée sauteuse Toxeus magnus. (portioid/ iNaturalist)
L’espèce a suscité l’intérêt de Chen et de ses collègues parce qu’on la trouve souvent dans des nids comprenant plusieurs grands individus, y compris des juvéniles fraichement adultes, mais elle ne forme pas de colonies. Les chercheurs se sont demandés si les nids indiquaient une prolongation des soins maternels, ce qui est inhabituel chez les arachnides.
Le mystère s’est approfondi lorsque les chercheurs ont installé un nid d’araignée dans leur laboratoire pour constater que pendant les 20 premiers jours, les araignées n’avaient pas quitté le nid et que leur mère n’avait jamais été vue en train d’y rapporter de la nourriture.
Un examen plus approfondi a révélé que la mère T. magnus produisait un liquide blanc à partir d’une rainure située sous l’abdomen, connue sous le nom de sillon épigastrique. Pendant les 10 premiers jours de leur vie, les araignées ont consommé des gouttelettes de ce liquide déposé sur la paroi du nid, puis elles ont “tété” directement la mère.
Bébés araignées qui tètent une mère. (Rui Chang Quan)
La production de lait pour leurs progénitures est l’une des caractéristiques qui définissent les mammifères, mais la mise à disposition de sources alimentaires spécialisées pour la progéniture se retrouve dans une surprenante variété d’animaux. Les poissons nourrissent leurs petits de leur propre mucus épidermique, certains amphibiens et invertébrés produisent des œufs non fécondés destinés à être consommés, et des types de liquides excrétés sont utilisés par les mères blattes (lait de cafard) et les oiseaux, notamment les pigeons, les flamants roses et les pingouins.
Selon les chercheurs, dans leur étude :
Cependant, ces autres aliments sont très différents du lait de mammifère tant par la durée de l’approvisionnement que par le degré d’interaction parent-enfant.
L’équipe de Chen a pu constater que l’approvisionnement en lait de la T. magnus était remarquablement similaire à la lactation des mammifères. Contrairement à d’autres sources alimentaires spécialisées, le lait d’araignée est fourni aux jeunes à partir de l’éclosion jusqu’à l’âge adulte et s’accompagne d’un degré élevé de soins maternels. L’équipe a mené une série d’expériences sur le terrain et en laboratoire pour découvrir à quel point l’approvisionnement en lait et l’attention des parents sont essentiels pour l’espèce.
Lorsqu’ils recevaient du lait et des soins maternels, y compris la réfection et le nettoyage du nid, 76 % des jeunes araignées survivaient jusqu’à l’âge adulte. Lorsque le sillon épigastrique de la mère fut obstrué juste après l’éclosion, les araignées ont cessé de se développer et sont mortes à environ 10 jours.
A gauche, des araignées âgées de plusieurs jours se rassemblent autour de leur mère. A droite, des araignées de plus de 20 jours tètent une substance laiteuse directement dans le sillon épigastrique de leur mère. C’est la première fois qu’un non-mammifère présente un comportement si proche de celui de l’approvisionnement en lait. (Chen/ Science)
Il est clair que le lait produit est essentiel à la survie des jeunes araignées sauteuses aux premiers stades de leur développement. Le liquide blanc est très nutritif, avec 4 fois plus de protéines que le lait de vache. Mais pourquoi continuer à téter après 20 jours, alors que les juvéniles sont en train de s’alimenter à l’extérieur du nid ? Une lactation de 40 jours est environ le double de celle observée chez la souris et le rat, qui se sèvrent à environ 21 jours. Les périodes de lactation prolongées et les soins parentaux de la progéniture jusqu’à la maturité sexuelle sont le plus souvent observés chez les mammifères à longue durée de vie comme les éléphants, les chimpanzés et les humains.
Pour vérifier l’importance des soins et du lait chez les juvéniles, l’équipe a enlevé la mère araignée à 20 jours ou l’a laissée dans le nid avec un sillon épigastrique bouché. Les auteurs ont constaté que même si l’allaitement n’était pas essentiel à la survie de la progéniture après leur indépendance, la présence de leur mère assurait grandement leur santé générale et leur survie à l’âge adulte. L’apport de lait a réduit le temps passé à l’extérieur du nid. La présence de la mère et ses soins au nid semblaient également réduire la charge parasitaire sur les araignées.
La présence de la mère confère également un avantage génétique. Lorsqu’elle était là, les araignées mâles fraîchement devenues adultes étaient plus susceptibles de se disperser hors du nid, évitant ainsi la consanguinité.
Les chercheurs de conclure :
Ces résultats démontrent que l’approvisionnement en lait de type mammifère et les soins parentaux pour la progéniture sexuellement mature ont également évolué chez les invertébrés, ce qui encourage une réévaluation de leur présence dans le règne animal, particulièrement chez les invertébrés.
L’étude publiée dans science : Prolonged milk provisioning in a jumping spider et présentée dans cette même revue : Spider moms spotted nursing their offspring with milk.