L’évolution des vertébrés a débuté en eau peu profonde
Les conditions dans lesquelles les premières formes de vie ont pris naissance et ont évolué, pour devenir les nombreux groupes d’animaux que nous voyons aujourd’hui, restent un mystère qui confond les scientifiques depuis des décennies. De nouvelles recherches suggèrent que les environnements marins peu profonds ont été un “banc d’essai critique” pour ces premiers animaux, leur offrant l’espace idéal pour développer les caractéristiques physiques requises afin qu’ils puissent se déplacer au-delà de leur berceau, près du rivage.
Image d’entête : ressemblant à une raie pastenague moderne, reconstitution d’un placoderme à mâchoires datant du Dévonien. (Nobumichi Tamura)
Les microbes furent la seule forme de vie sur Terre pendant des milliers de millions d’années. Mais quelque chose de remarquable s’est produit : des organismes complexes et multicellulaires, y compris des animaux, sont apparus. Apparemment, du jour au lendemain, ces nouvelles formes de vie se sont diversifiées en toutes sortes de créatures farfelues, se répandant pour remplir pratiquement tous les coins et recoins de la planète. Cependant, l’habitat dans lequel cette transformation cruciale a eu lieu est encore mal estimé, en raison d’une pénurie de vestiges fossiles. De nouvelles recherches publiées cette semaine postulent que les environnements littoraux peu profonds ont joué un rôle crucial dans cette révolution biologique et que tous les groupes de vertébrés vivants aujourd’hui ont émergé de ces types d’environnements marins, il y a entre 480 et 360 millions d’années.
Un Cephalaspis, un ostéostracé blindé sans mâchoires, membre du premier groupe à avoir des appendices appariés comme nos propres bras, habitait principalement en eau douce il y a 415 millions d’années. (Nobumichi Tamura)
En plus de fournir de nouveaux détails sur l’origine des vertébrés complexes, cette étude pourrait nous en apprendre davantage sur la façon dont la vie apparaît, ou non, sur d’autres planètes habitables. Sans des eaux peu profondes, cette nouvelle recherche suggère que les débuts de la vie pourraient rester coincés dans un mode primitif.
Avant cette nouvelle étude, les biologistes soupçonnaient que les premiers vertébrés auraient pu émerger et évoluer en eaux peu profondes, mais certains ont suggéré qu’ils avaient évolué en eau douce, en haute mer ou même parmi les récifs coralliens. Mais en l’absence de preuves, impossible d’adopter l’une de ces théories.
Le Bothriolepis, un placoderme blindé, qui se trouve au fond de l’océan et qui est apparenté à certains des premiers vertébrés à mâchoires à apparaître dans les archives, vit surtout sur les côtes. Les recherches de Lauren Sallan et de ses collègues ont révélé que ces groupes se sont diversifiés dans les eaux océaniques peu profondes avant de s’étendre à d’autres types d’habitats. (Nobumichi Tamura)
Selon Lauren Sallan, auteure principale de la nouvelle étude et chercheuse à l’université de Pennsylvanie (Etats-Unis), une partie du problème est liée à la pénurie de fossiles. Les archives fossiles de vertébrés datant de dizaines de millions d’années après leurs débuts, lors de l’explosion cambrienne, sont plutôt dérisoires selon elle, mais les scientifiques ont pu découvrir des morceaux d’os et des fragments de fossiles de corps entier, datant de l’Ordovicien, il y a environ 480 millions d’années. Cependant, rien n’a été trouvé dans les écosystèmes fossilisés tels que les récifs coralliens. Puis, à l’époque silurienne, il y a environ 443 millions d’années, un grand nombre d’animaux à mâchoires et sans mâchoires sont soudainement apparus, d’un seul coup note Sallan. La grande question que se posent les scientifiques est de savoir pourquoi, et dans quelles conditions, cette transformation spectaculaire a eu lieu.
Pour M. Sallan, de nouvelles méthodes quantitatives permettent enfin aux scientifiques de tester des théories sur les anciens habitats des vertébrés, au lieu de simplement faire des suppositions éclairées. Avec ses collègues, ils ont constitué une base de données de plus de 2 700 premières occurrences de vertébrés, d’il y a 480 millions d’années à 360 millions d’années, lorsque les poissons ont connu une extinction de masse, et ils ont ainsi pu déterminer de quels milieux ces fossiles provenaient à l’origine. Ils ont ensuite utilisé l’arbre évolutionnaire des premiers poissons et des modèles mathématiques pour reconstruire les habitats ancestraux de différents types de vertébrés. Cela a permis de montrer que tous les grands groupes, des poissons sans mâchoires aux poissons à mâchoires, ont évolué dans une bande très restreinte d’eaux côtières, bien au large de la lagune. Les chercheurs ont ensuite comparé les données sur les vertébrés à celles sur les invertébrés comme les coquillages et les coraux, qui montrent que les premiers poissons ont prospéré et se sont diversifiés dans des eaux beaucoup moins profondes que prévu.
Représentation de Pituriaspis, membre d’un groupe rare de poissons australiens de 410 millions d’années sans mâchoires, le long du rivage. Les recherches menées par Lauren Sallan de l’Université de Pennsylvanie et ses collègues ont révélé que ces groupes se sont diversifiés dans les eaux océaniques peu profondes avant de s’étendre à d’autres types d’habitats. (Nobumichi Tamura)
Les lagunes d’eau peu profonde qui bordent le littoral du Paléozoïque (“l’ère des poissons”), selon cette recherche, ont servi de tremplin aux premiers grands groupes de vertébrés sur une période de 100 millions d’années. À mesure que ces créatures évoluaient et se diversifiaient, leur corps s’est adapté pour finalement leur permettre de se propager dans de nouveaux environnements. Des animaux robustes sont restés près des côtes ou se sont déplacés dans des habitats en eau douce comme les lacs et les rivières, tandis que des créatures plus délicates et flexibles se sont aventurées en eau profonde pour éviter la concurrence de plus en plus hostile, selon les chercheurs.
Selon Sallan :
Notre étude suggère qu’il y a eu une » invasion répétée des océans » par des vertébrés qui ont commencé dans les eaux peu profondes et se sont déplacés vers les récifs et le large. Cela exigeait des changements spécifiques tels que des corps flexibles, tout comme l’invasion de la terre exigeait l’évolution antérieure de traits spécifiques comme des poumons et des membres. Cependant, nous ne voyons pas d’autre diversification majeure causée par ces déplacements offshore. Nous constatons aussi que de nombreux groupes de vertébrés ont d’abord envahi les eaux douces.
Cette étude ne couvre que les premières phases de l’évolution des vertébrés. Dans la perspective de futures recherches, Sallan a déclaré que son équipe aimerait savoir si ce berceau d’eau primordial a persisté dans le temps ou si d’autres environnements, comme les coraux, ont contribué à l’émergence de nouveaux groupes de poissons.
La diversification des vertébrés primitifs dépendait de la présence d’eaux peu profondes, selon cette recherche. Une question pertinente à se poser est de savoir si des contraintes similaires existent ailleurs, notamment sur des exoplanètes habitables. la découverte surprenante du domaine de l’astronomie est que la plupart des (exo)planètes terrestres habitables peuvent être des mondes aquatiques.
Précédemment :
De telles planètes seraient dépourvues de zones peu profondes, avec des eaux profondes enveloppant la planète. Il est possible que la vie microbienne émerge sur les mondes aquatiques, et même évolue en créatures primitives ressemblant à des poissons, mais sans environnements littoraux, ces organismes pourraient ne pas être capables de passer au niveau suivant de la complexité évolutive.
L’étude publiée dans Science : The nearshore cradle of early vertebrate diversification et présentée sur le site de l’université de Pennsylvanie : Tracing the evolutionary origins of fish to shallow ocean waters.