Une plante parasite crée de petits morceaux d’ARN pour désactiver les gènes de ses hôtes
Le système immunitaire des organismes tente constamment de détecter et d’éliminer les profiteurs. Aucun être vivant n’est particulièrement disposé à abandonner ses ressources durement gagnées au tout-venant, donc tous les parasites doivent trouver un moyen de traverser les défenses de leurs hôtes et de survivre à d’incessantes attaques. Certains se déguisent constamment pour se déplacer sans être détectés, tandis que d’autres passent mystérieusement inaperçues.
Dans une étude publiée ce mois-ci, des chercheurs ont découvert qu’une plante parasite a remarquablement évolué pour survivre : elle crée de petits morceaux d’ARN pour faire taire les gènes de ses hôtes.
Les cuscutes (Cuscuta) sont le fléau des agriculteurs du monde entier. Bien qu’elles soient techniquement des végétaux, ils lui manquent ce qui est le plus essentiel aux plantes : la photosynthèse. Pour cette raison, elles sont des parasites presque obligés, s’appuyant sur d’autres plantes pour obtenir ce dont elles ont besoin. En utilisant des structures spéciales appelées haustéries (haustorium ou suçoir) qui pénètrent dans les tiges de leurs hôtes, ces ravageurs volent de l’eau et des nutriments. Ils aspirent littéralement la vie de leurs hôtes.
En Europe, elle coûte chaque année des dizaines de millions de légumineuses. En Amérique du Nord, la Cuscuta campestris affectionne particulièrement la luzerne. Elle se trouve donc presque partout, comme en Australie, où elle terrorise les plantes indigènes des zones humides.
Si ces plantes parasites prolifèrent si bien, c’est qu’elles ont développé une impressionnante stratégie de survie : elles produisent des microARN qui désactivent les gènes clés de leurs hôtes.
Les microARN sont un moyen pour les plantes et les animaux de contrôler l’expression des gènes. Ces courtes séquences d’ARN, habituellement longues d’environ 22 nucléotides, se lient à des parties d’ARN messager qui sont fabriquées au cours de la première étape de l’expression génique. Lorsque cela se produit, l’ARN à double brin qui est créé déclenche un mécanisme cellulaire qui se traduit par un hachage en morceaux de l’ARN messager, empêchant ainsi sa traduction en protéine. Et puis ces minuscules ARN vont se lier à d’autres ARN messager, désactivant ainsi le gène.
On sait depuis un certain temps que les microARN peuvent être utilisés pour des maladies, car il est notoire que les virus détournent ce système pour activer ou désactiver efficacement les gènes. Et les scientifiques qui étudient d’autres parasites ont découvert que les micro-ARN hôtes jouent un rôle important dans la “susceptibilité” et la réponse immunitaire face à une infection. Ce qui signifie que les microARN pourraient être la clés pour renforcer notre immunité face à des parasites spécifiques. Il était donc logique que les scientifiques qui visaient la découverte de mécanismes de résistance possibles contre les cuscutes observent les micro-ARN de ces plantes parasites et de leurs hôtes. Cependant, ils ne s’attendaient pas à découvrir que les parasites sont capables de produire des microARN qui ciblent les gènes de leurs hôtes plutôt que les leurs.
Pour faire cette découverte, les chercheurs ont examiné ce qui se passe lorsque les cuscutes infectent l’Arabette des dames (Arabidopsis thaliana). Ils ont séquencé les microARN des deux plantes séparément et lorsqu’elles interagissaient. Ils ont découvert que certains des microARN fabriqués par le parasite pouvaient pénétrer dans les tissus de ses hôtes.
Selon James Westwood, de l’Institut polytechnique et université d’État de Virginie (Virginia Tech) et coauteur de l’étude :
La cuscute semble activer l’expression de ces microARN quand elle entre en contact avec la plante hôte.
Par le biais d’observations, les chercheurs ont constaté que la présence de ces microARN entraînait la réduction des ARN messagers de l’hôte et ainsi une diminution globale de ceux-ci. Et ils ont même trouvé des preuves que les fragments poursuivaient le “silençage génique” en agissant comme de petits ARN interférents (pARNi ou siRNA).
Nos résultats impliquent que cette régulation des gènes interespèces peut être plus répandue dans d’autres interactions plante-parasite
Cette image résume l’échange d’ARN entre la cuscute et son hôte. (Saima Shahid/ Virginia Tech)
Reste à savoir si d’autres parasites ont évolué pour prendre le contrôle des gènes de leurs hôtes d’une manière similaire, car les microARN sont difficiles à étudier et peu de parasites ont été étudiés aussi profondément.
L’équipe savait déjà que l’un des gènes affectés, SEOR1, est impliqué dans la sensibilité/ susceptibilité de l’hôte, car des mutations dans ce gène rendent les plantes moins résistantes aux cuscutes. Et c’est un gène qui est très conservé chez de nombreux hôtes de la cuscute. Ainsi les chercheurs estiment que c’est peut-être l’une des clés pour protéger les cultures contre leurs pires ennemis.
En trouvant un moyen d’empêcher le parasite d’étouffer l’expression génétique de ses hôtes, cela pourrait les empêcher d’être des nuisibles et selon Axtell :
Avec ce savoir, le rêve est que nous pourrions éventuellement utiliser la technologie d’édition génétique pour éditer les sites cibles microARN dans les plantes hôtes, empêchant les microARN de se lier et de faire taire ces gènes.
L’étude publiée dans dans Nature : MicroRNAs from the parasitic plant Cuscuta campestris target host messenger RNAs et présentée sur le site de la Virginia Tech : Scientists discover how parasite hacks into its host’s genes in plant-to-plant warfare.