Nos nuits gagnent 2 % de luminosité chaque année… et c’est un problème
L‘immense popularité des composants électriques brillants et économes en énergie, appelés diodes électroluminescentes ou LED pour light-emitting diode, fut un atout pour l’environnement. Mais les chercheurs découvrent qu’elle a également un coût plutôt sérieux.
Le problème croissant de la pollution lumineuse ne montre aucun signe de ralentissement, ce qui est une mauvaise nouvelle pour nos écosystèmes et notre santé.
Une grande partie du problème est que nous ne pensons pas à la lumière de la même manière que nous le faisons pour des aérosols nocifs ou des fluides toxiques. Ainsi, lorsque nous inventons une nouvelle technologie émettant de la lumière, nous sommes moins susceptibles de penser aux potentiels coûts environnementaux, nous pensons plutôt aux coins sombres dont nous pouvons nous débarrasser par quelques ampoules supplémentaires.
Le physicien Chris Kyba du Centre allemand de recherche en géosciences a mené une recherche utilisant des données satellitaires pour étudier comment nos nuits deviennent plus lumineuses.
Et bien qu’il ne pointe pas du doigt uniquement les LED, elles font de plus en plus partie du problème.
Selon Kyba :
Nous allons éclairer quelque chose que nous n’avions pas éclairé auparavant, comme une piste cyclable dans un parc ou un tronçon de route menant à l’extérieur de la ville qui, par le passé, n’était pas éclairé.
Les chercheurs utilisent le terme «d’effet rebond» pour décrire comment une économie d’énergie sur un produit nous permet d’économiser de l’argent que nous allons simplement réinvestir dans ce même produit.Nous pouvons constater le même effet dans notre approche lors de l’achat de voitures : un meilleur rendement énergétique conduit à davantage de carburant pour parcourir de plus longues distances, plutôt qu’à une réduction de la consommation d’énergie globale.
La pollution lumineuse n’est pas une préoccupation nouvelle, surtout chez les astronomes, les écologistes et les insomniaques.
La voie lactée disparaît dans la lumière artificielle de la lumière de la ville de Berlin. La pollution lumineuse assombrit la vue des étoiles et affecte les écosystèmes (A. Jechow/ IGB).
Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, l’éclairage extérieur a augmenté de 3 à 6% par an, voyant la fin de la nuit telle qu’on la connaissait dans de nombreuses parties du monde. Et nous avons dû compter sur des estimations et des hypothèses statistiques pour comprendre à quel point c’est mauvais.
La technologie satellitaire n’a que récemment fourni des données suffisamment précises et fiables pour surveiller le problème en détail.
L’équipe a utilisé des informations recueillies par un radiomètre appelé VIIRS (Visible / Infrared Imager Radiometer Suite), qui était monté sur un satellite américain de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) nommé Suomi NPP.
En se limitant aux données collectées en octobre afin d’éviter l’éclairage des fêtes de fin d’année, les chercheurs ont analysé la croissance de la pollution lumineuse entre 2012 et 2016.
En moyenne, la superficie éclairée la nuit a augmenté d’environ 2,2% chaque année. Les zones à éclairage continu étaient également plus lumineuses d’environ 2,2% chaque année.
Les lumières artificielles de Calgary (Alberta/ Canada) ont sensiblement augmenté entre 2010 et 2015 (Helmholtz-Gemeinschaft Deutscher Forschungszentren/ Earth Science and Remote Sensing Unit/ NASA)
Ce développement s’est principalement produit en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie, tandis que les baisses d’éclairage ont surtout été observées dans les zones déchirées par la guerre, comme la Syrie et le Yémen. L’illumination s’est stabilisée dans quelques pays seulement, surtout ceux qui sont déjà bien éclairés.
Si tout cela semble déjà assez sérieux, la réalité risque d’être légèrement pire. Les données satellitaires ne pouvaient pas détecter directement les longueurs d’onde plus bleues émises par de nombreuses LED.
Cette extrémité du spectre de la lumière visible ressemble davantage à la lumière du jour, même si nous supposions que la luminosité globale n’augmente pas dans les pays qui remplacent les vieilles ampoules par la technologie LED, nous percevrions toujours la nuit comme un jour.
Il est bien établi que cette propagation de lumière bleue a de graves répercussions sur notre santé et notre bien-être. Elle dérange également la faune, vous pourriez ne pas vous soucier de ces quelques papillons de nuit qui s’émerveillent devant votre lampe, mais la recherche montre que l’éclairage LED pourrait avoir de profonds impacts sur une variété d’espèces végétales et animales.
Selon Franz Hölker, chercheur de la Communauté Leibniz d’écologie des eaux douces et des pêches et coauteur de l’étude :
Le monde biologique est organisé, dans une large mesure, par des cycles naturels de variation de la lumière. Et cette variation déclenche un large éventail de processus, de l’expression des gènes aux fonctions de l’écosystème.
La lumière artificielle, et la perte subséquente de l’obscurité nocturne sont «un stress très nouveau» auquel de nombreux organismes n’ont pas eu le temps de s’adapter.
30 % des vertébrés et plus de 60% des invertébrés sont nocturnes, précise-t-il, ainsi l’éclairage artificiel peut affecter directement les cycles de vie et de sommeil de ces organismes et de nombreuses études documentent ce phénomène. Cela peut également avoir un effet d’entraînement sur l’écosystème. Par exemple, une récente étude a montré comment les réverbères perturbent les insectes qui pollinisent les plantes la nuit, les affectant du même coup.
Manipuler le spectre et l’intensité des LED en fonction du moment de la journée pourrait offrir un peu de répit, mais il faudrait d’abord nous demander si nous avons vraiment besoin de toutes nos lumières.
D’ici à 2020, les lumières LED devraient représenter 61% du marché mondial de l’éclairage. C’est une bonne chose en ce qui concerne la consommation d’énergie. Cela devrait aussi nous rappeler qu’il y a un autre type de pollution dont nous devons nous préoccuper.
L‘étude publiée dans Science Advances : Artificially lit surface of Earth at night increasing in radiance and extent et présentée sur le site de l’Association Helmholtz des Centres de Recherche Allemands (GFZ).
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Excellente étude.
Toutefois inutile d’aller si loin : plus près de nous il y a le travail considérable (et hélas mal connu) effectué par l’ANPCEN (Association Nationale pour la Protection du Ciel Étoilé et de la Nuit)
voir le site : https://www.anpcen.fr/
Riche, documenté, pragmatique cette association privilégie le travail concret sur le terrain (villages étoilés) par rapport aux grandes déclarations 😉