Comment les moustiques gorgés de sang s’échappent de votre peau sans attirer votre attention ?
De rapides et puissants battements d’ailes, sans aucune poussée, permettent aux moustiques de s’évader rapidement de votre peau qui va bientôt gratter.
La technique est bien différente d’autres insectes, comme les mouches, qui poussent d’abord sur leurs pattes, puis commencent à battre leurs ailes frénétiquement, en réalisant souvent d’incontrôlables culbutes dans le processus. Cette forte poussée nous permet également de savoir qu’elles sont là avant qu’elles aient une chance de s’échapper.
Selon Sofia Chang, qui a nourri les moustiques pour étudier leurs décollages :
Les moustiques décollent surtout avec leurs ailes et poussent très, très légèrement avec leurs pattes, ou peut-être même pas du tout. S’ils devaient pousser beaucoup plus avec leurs pattes, ils n’auraient pas besoin de produire autant de portance avec leurs ailes. Mais s’ils se soulèvent seulement avec leurs ailes, vous ne les sentirez pas sortir de votre peau.
Les moustiques sont capables de réaliser ces décollages furtifs à la fois avec le ventre vide et rempli de sang, ce qui double presque leur poids.
Travaillant dans le laboratoire de Florian Muijres à l’université de Wageningen aux Pays-Bas, Chang a examiné 600 moustiques alors que l’équipe perfectionnait son installation pour filmer leurs décollages avec trois caméras à haute vitesse filmant à 125 000 images par seconde. Chang leur a d’abord donné du sang de son propre bras avant que l’entomologiste de l’université de Wageningen, Jeoren Spitzen, ne fournisse l’expertise et l’équipement pour les nourrir artificiellement.
L’équipe a utilisé l’espèce de moustique Anopheles coluzzii, qui peut transporter le paludisme, mais maintenue dans un milieu stérile pour l’expérience, dans l’espoir de trouver des indices sur les manœuvres de vol qui pourraient être utilisées contre eux… ou pour construire de très très petits robots.
Chang et ses collègues, comprenant des biologistes de l’université Berkeley, étaient principalement intéressés par la façon dont les insectes modifient leurs décollages lorsqu’ils portent un poids supplémentaire, comme du sang humain.
Les caméras à haute vitesse ont capturé les décollages des moustiques et leurs battements d’ailes, que Muijres a pu transformer en rendus tridimensionnels afin de calculer la portance et d’autres forces aérodynamiques. Parmi les nombreux moustiques filmés, 63 vidéos ont été analysées dans l’étude : 32 des moustiques gorgés de sang, 31 non nourris.
Les chercheurs furent surpris de constater que les moustiques commençaient à battre leurs ailes environ 30 millisecondes avant le décollage en utilisant une fréquence extraordinairement élevée (…et agaçante) d’environ 600 battements par seconde. D’autres insectes de même taille battent leurs ailes environ 200 fois par seconde.
Images tirées de l’étude : Photomontages de décollages de moustiques. (A, C) Deux moustiques non nourris; (B, D) deux moustiques nourris de sang. Les astérisques en A et C indiquent le moment du décollage. Sur chaque image sont superposés des vecteurs de force (orange) et de vélocité (vert). (F. T. Muijres et Col./ Experimental Biology)
Les insectes ont profité de leurs pattes exceptionnellement longues pour les étendre doucement et pousser lentement 30 millisecondes avant le décollage. Les ailes au décollage ont produit au moins 60% de la force, tout ce qui pourrait être nécessaire pour soulever de notre peau un moustique bien nourri.
Selon Chang :
Au lieu d’aller vite, ils prennent leur temps, mais ils accélèrent tout le temps pour atteindre une vélocité finale à peu près identique à celle des mouches des fruits. C’est quelque chose qui pourrait être unique aux moustiques, et peut-être même unique aux suceurs de sang.
Les mouches des fruits ont exercé près de quatre fois la force exercée par les moustiques lors du décollage. Le coauteur de l’étude, Bart Biemans, a comparé l’anatomie des muscles des pattes des moustiques avec celles des mouches des fruits et il a constaté que les moustiques n’ont pas les muscles rapides des mouches des fruits qui leur permettent une poussée, vraisemblablement « parce que les moustiques doivent produire une force plus faible ».
Selon Koehl :
Les vidéos montrent que les moustiques femelles transportant du sang génèrent la portance supplémentaire dont elles ont besoin pour décoller avec des charges aussi lourdes en déplaçant leurs ailes sur une plus grande distance pendant chaque battement que les moustiques qui n’en transportent pas.
L’équipe envisage maintenant d’observer l’atterrissages de moustiques, qui sont également furtifs, et de les comparer aux décollages et aux atterrissages d’autres insectes hématophages et de moustiques non hématophages, afin de déterminer s’ils exercent une légère pression.
Présentation de la découverte par l’université Berkeley :
L’étude publiée dans le Journal of Experimental Biology : Escaping blood-fed malaria mosquitoes minimize tactile detection without compromising on take-off speed et présentée sur le site de l’université Berkeley : A mosquito’s secret weapon: a light touch and strong wings.