Reproduire la colle de l’Homme de Neandertal
Il existe de nombreuses percées technologiques qui ont considérablement affecté le cours de l’histoire humaine : la découverte du feu, de la roue et des madeleines (faites maison bien sûr). Mais une des découvertes qui est passée un peu inaperçue est celle de la colle.
Des preuves archéologiques montrent que, il y a plus de 200 000 ans, les Néanderthaliens utilisaient un adhésif à base de goudron pour coller les têtes de hache et les lances sur leurs manches. Afin d’aider à estimer de la sophistication de cette technologie de l’époque, des chercheurs ont tenté de recréer la colle du Néanderthalien.
Les archéologues ont trouvé des morceaux de goudron adhésif probablement fait à partir d’écorce de bouleau sur des sites néanderthaliens en Italie et en Allemagne. Mais la façon dont ils ont produit la substance a dérouté les chercheurs, surtout parce qu’elle a été produite sans l’aide de pots en céramique, qui étaient utilisés par des cultures ultérieures pour produire de grandes quantités de goudron.
C’est pourquoi une équipe de l’université de Leyde (Pays-Bas) a décidé de produire leur propre goudron avec les ressources disponibles pour les Néandertaliens. Les archéologues ont découvert des moyens de créer des quantités utilisables de goudron provenant de l’écorce de bouleau, sans la nécessité d’utiliser de pots en céramique sophistiqués ou d’un contrôle de la température.
Les chercheurs ont testé trois méthodes différentes. La première est connue sous le nom de “monticule de cendres” (ash mound), dans laquelle les scientifiques ont enroulé de l’écorce de bouleau de manière très compact, puis ils l’ont recouvert de cendres et de braises, ce qui a provoqué la formation d’un goudron. Ils devaient ensuite être raclés de l’écorce. Une deuxième méthode consiste à placer des braises directement sur un rouleau d’écorces de bouleau suspendu sur une fosse, ce qui a également produit du goudron.
La troisième méthode fut la plus compliquée. Les chercheurs ont créé un conteneur construit en écorce de bouleau et l’ont placé dans une fosse. Puis ils ont couvert la fosse avec de l’écorce et de la terre et ils ont allumé un feu sur le dessus du monticule. Bien qu’il ait fallu plus de temps et de combustible que les autres méthodes, cela a également donné davantage de goudron.
Tirée de l’étude, description des 3 méthodes utilisées pour produire du goudron. (Paul Kozowyk et Col./ Scientific Reports)
Selon le premier auteur de l’étude, Paul Kozowyk :
Il est possible que les trois méthodes que nous avons testées, ou même des méthodes différentes aient été utilisées en fonction des besoins ou des exigences à l’époque. Il est possible que les Néanderthaliens utilisassent la technique la plus compliquée lors de la fabrication des outils ou des armes et qu’ils se sont appuyés sur des techniques plus simples pour des réparations lors de la chasse.
Le goudron produit par les chercheurs et recueilli dans un récipient en écorce de bouleau. Cette technique n’utilise que des braises incandescentes placées sur un rouleau d’écorce dans une petite fosse. (Paul Kozowyk)
L’utilisation de cette technologie s’ajoute aux preuves croissantes que les Néandertaliens étaient plus sophistiqués que nous l’estimions. D’autres études ont révélé qu’ils fabriquaient des bijoux, peignaient leurs corps, produisaient de l’art rupestre et même des cure-dents utilisés pour soigner leurs dents douloureuses. Il y a aussi des preuves qu’ils pratiquaient des rituels pour enterrer leurs morts et qu’ils communiquaient comme les humains modernes. Toutes ces nouvelles informations dépeignent le portrait d’une espèce finalement pas trop différente de la nôtre.
Selon l’anthropologue de l’université de Washington, Erik Trinkaus :
Ce que ce document renforce, c’est que tous les humains qui se situaient entre environ 50 000 à 150 000 ans étaient culturellement semblables et étaient également capables de ces niveaux d’imagination, d’invention et de technologie.
Les anthropologues ont longtemps supposé que leur anatomie différait de celles des humains modernes, leur comportement le fut aussi, dit-il, ce qui n’est pas nécessairement le cas.
Il est à noter que les preuves suggérant de l’utilisation du goudron par les humains n’apparaissent qu’à 70 000 ans, soit plus de 100 000 ans après les néanderthaliens.
Les chercheurs ont publié leurs résultats dans la revue Scientific Reports : Experimental methods for the Palaeolithic dry distillation of birch bark: implications for the origin and development of Neandertal adhesive technology et présentés sur le site de l’université Leyde : How Neanderthals made the very first glue.