La découverte des fossiles des plus anciens homo sapiens remet en question le calendrier de notre évolution
La découverte de restes humains vieux de 300 000 ans semble avoir pour effet de remettre en question les nombreux modèles actuels sur l’évolution et la migration de l’homo sapiens.
La datation d’os humains, trouvée au Maroc, a été réalisée par une équipe dirigée par Jean-Jacques Hublin de l’Institut Max Planck pour l’anthropologie évolutive en Allemagne et Abdelouahed Ben-Ncer de l’Institut national d’archéologie et du patrimoine à Rabat, au Maroc .
Les restes, estimés appartenir à cinq individus au moins, ont été trouvés sur le site archéologique de la grotte de Jebel Irhoud, situé près de Sidi Moktar, à environ 100 kilomètres de Marrakech.
En image d’entête, l’un des premiers membres connus d’Homo sapiens. L’image composite, basée sur les microtomodensitogrammes de fossiles d’un site au Maroc, montre que le visage humain moderne avait déjà évolué il y a 300 000 ans, remettant en question nos connaissances sur notre calendrier évolutif. (Philipp Gunz, MPI EVA Leipzig) et ci-dessous le site de Jebel Irhoud. (Shannon McPherron, MPI EVA Leipzig)
Le site était déjà connu comme étant la source de certains des plus anciens restes humains modernes jamais découverte, mais la dernière découverte fait reculer de 100 000 ans l’émergence de l’homo sapiens.
Les fossiles d’hominidés déterrés à Jebel Irhoud en 1991 ont été datés à il y a environ 160 000 ans et furent d’abord considérés comme des Néandertaliens. Cependant en 2007, une analyse plus approfondie a révélé qu’ils appartenaient à des humains anatomiquement moderne, les premiers de la sorte découvert.
Jusqu’à présent, le plus ancien reste d’humains modernes fut le crâne Omo 1 trouvé dans le sud-ouest de l’Éthiopie et vieux de 200 000 ans.
Une étude génomique de 2013, menées par Teresa Rito de l’université de porto au Portugal a suggéré que “l’Ève mitochondriale”, le dernier ancêtre commun des populations Khoe et San de l’Afrique australe et la lignée de l’Afrique de l’Est qui a semé les restes des humains modernes à travers le monde, vivait il y a environ 180 000 ans.
Les découvertes de Jebel Irhoud confondent maintenant cette conclusion. Elles reformulent également une des plus importantes questions sur l’émergence des humains modernes : l’Homo sapiens émergea-t-il relativement rapidement d’un stock ancestral ou fut-ce un processus beaucoup plus graduel ?
La question reste sans solution en raison de la nature sévèrement fragmentée des fossiles. Cependant, Hublin et ses collègues rapportent que les derniers spécimens de Jebel Irhoud ont des structures de visage, de mâchoire et de dents qui correspondent à celles des humains anatomiquement modernes, tandis que la forme des crânes est plus étroitement liée à des hominidés plus archaïques/ anciens.
En dépit de la structure faciale moderne de l’hominidé de 300 000 ans de Jebel Irhoud, la boite crânienne (en bleu) était plus primitive, ce qui suggère que la forme du cerveau et éventuellement les capacités cognitives ont continué à évoluer chez l’Homo sapiens après l’installation de l’espèce. (Philipp Gunz, MPI EVA Leipzig)
Les chercheurs suggèrent que cela s’oppose à l’idée que les humains modernes ont émergé dans un lieu géographique unique, suggérant plutôt que « les processus évolutifs derrière l’émergence de l’H. sapiens impliquaient tout le continent africain ».
Dans un deuxième document de recherche, des scientifiques dirigés par Daniel Richter, également de l’Institut Max Planck pour l’anthropologie évolutive, confirment les estimations de l’équipe de Hublin par la datation d’artefacts en silex trouvés dans la même excavation.
En utilisant des techniques se basant sur la thermoluminescence, l’équipe a daté les outils en silex à environ 315 000 ans. Une datation distincte d’une dent d’une des mâchoires d’hominidés, à l’aide de la résonance de spin électronique, a donné une date largement compatible de 286 000 ans (à 34 000 ans près).
Quelques outils en silex de l’Age de Pierre trouvés dans la grotte de Jebel Irhoud. (Mohammed Kamal, MPI EVA Leipzig)
L’équipe de Richter suggère que l’émergence d’êtres humains modernes peut être liée aux changements climatiques il y a environ 330 000 ans, lorsqu’une grande partie de ce qui est maintenant le désert du Sahara était bien plus verte qu’elle ne l’est aujourd’hui, permettant « une continuité biologique entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne ».
En écho aux conclusions de la première étude, la seconde soulève également la possibilité que l’Homo sapiens ait émergé d’une vaste zone géographique, ce qui suggère un “processus panafricain complexe”.
Les chercheurs concluent :
Nous mettons en garde contre le fait de favoriser une région par rapport à l’autre dans la construction de modèles pour tenir compte de ces changements dans le comportement humain et la biologie.
L’étude de Jean-Jacques Hublin et ses collègues publiée dans Nature : New fossils from Jebel Irhoud, Morocco and the pan-African origin of Homo sapiens et celle de Daniel Richter et col. : The age of the hominin fossils from Jebel Irhoud, Morocco, and the origins of the Middle Stone Age.