Comment les macaques à Bali en sont venus à racketter les humains ?
Depuis des années, les touristes qui visitent le pittoresque temple d’Uluwatu à Bali sont avertis qu’une bande locale de macaques maraudant arrachent habilement certains effets personnels, pour ensuite les échanger contre de la nourriture.
(de Jean Baptiste Lecas qui a participé à l’étude)
Des lunettes de soleil, des chaussures, des chapeaux et même des bijoux, tout s’échange et le personnel du temple s’est spécialisé dans le rachat des objets de valeur avec des morceaux de nourriture. Mais ce comportement est en fait assez inhabituel chez les animaux sauvages et pour la première fois, des chercheurs ont des réponses sur ce qui conduit ces macaques à longue queue à devenir des racailles.
Enfant d’Uluwatu offrant un sac de fruits à un jeune macaque tenant les lunettes qu’il vient de voler à un visiteur du temple. (JB Lecas)
Le fait que les primates comprennent le troc n’est pas surprenant. En captivité, les chercheurs utilisent l’échange de symboles pour étudier divers comportements chez les singes. Dans un célèbre exemple, le primatologue Frans de Waal a découvert que les singes capucins ont une forte aversion contre les inégalités, notamment lorsqu’ils apprennent à échanger des pierres contre des morceaux de concombres ou des raisins.
L’outrage est palpable à 1m55s dans la vidéo ci-dessous, lorsque le singe ne reçoit pas la même récompense (du raisin) que son voisin d’à cotés :
Les humains qui enseignent le concept de troc à des animaux captifs sont une chose, mais les macaques à Bali pratique le rackette par eux-mêmes et pourraient être les seuls animaux sauvages au monde à le faire.
Pour comprendre ce qui se passe, une équipe de chercheurs s’est rendue à Uluwatu en 2010 et a passé quatre mois à observer et à enregistrer le comportement des macaques. Ils ont publié leurs résultats cette semaine.
Les scientifiques ont identifié quatre groupes sociaux distincts de macaques vivant autour du temple et ils ont noté chaque tentative de vol lorsqu’ils les regardaient interagir avec les touristes et le personnel du temple.
Les territoires des 4 groupes de macaques (Riting, Celagi, Melum, Gading) au temple Uluwatu. (Fany Brotcorne et col./ Primates)
L’équipe a enregistré 201 cas de “vol et de troc”, notant l’identité du voleur, auxquelles des quatre groupes le singe appartenait, quel objet essayait-il de voler (les lunettes étaient plus populaires) et s’ils avaient réussi à l’échanger.
Vol d’une paire de lunettes. (A. Michels)
Un macaque adulte a volé les lunettes d’un touriste (à gauche) et les a rendus en échange d’un sac de fruits, n’ayant que faire du billet de banque. (JB Leca)
Une vidéo réalisée par Jean-Baptiste Leca (Université de Lethbridge, Canada) qui a participé à l’étude. Le macaque vol une paire de lunettes, refuse plusieurs produits alimentaires jusqu’à ce qu’il obtienne un morceau de fruit, puis finalement abandonne son butin.
Les scientifiques ont constaté que ces singes représentent un cas très particulier d’adaptation à un environnement fréquenté par les humains.
Les singes apprennent les techniques de vol et de troc de leur congénère et les transmettent même à leur progéniture. Et plus ils passent de temps avec les humains, meilleurs voleurs ils deviennent.
Selon l’étude :
Nos résultats indiquent que le vol et le troc sont de bon candidat pour une nouvelle tradition comportementale définie en tant que pratique spécifique au groupe / population, transmise socialement au moins chez certains membres du groupe, persistante sur plusieurs générations et éventuellement adaptée localement.
Parmi les quatre groupes vivant près du temple, deux vagabondaient plus souvent vers les zones touristiques denses et ils étaient aussi les meilleurs voleurs. De plus, si votre groupe social a plus de jeunes macaques masculins, il y aura davantage de vol.
Un cinquième groupe de singes, qui auparavant n’étaient pas exposés aux humains, a commencé à se promener près du temple au moment de l’étude préliminaire. Un suivi a révélé que quelques années plus tard, ces nouveaux singes avaient également adopté le comportement de la mafia locale et qu’ils réussissaient à revendre des objets de valeur contre de la nourriture (ces données ne sont pas encore publiées).
Tout cela révèle un cas fascinant d’apprentissage social et culturel et les scientifiques qui ont publié la petite étude préliminaire espèrent continuer leurs travaux avec des ensembles de données plus larges (plus de singes, plus de vol).
Ce qui est curieux, c’est que le comportement semble être spécifique à cette population, alors que d’autres endroits à Bali fournissent à d’autres singes des opportunités très similaires sans pour autant procéder de la sorte.
A suivre…
L’étude publiée dans la revue Primates : Intergroup variation in robbing and bartering by long-tailed macaques at Uluwatu Temple (Bali, Indonesia) et les photos à partir du blog du biologiste JB Lecas qui a participé à cette étude.