Comment les sherpas surmontent le manque d’oxygène rencontré sur l’Everest
Pour de nombreux aventuriers, grimper l’Everest est un test d’endurance qui ne ressemble à aucun autre. Pour les sherpas, les Népalais qui les aident à monter à son sommet, c’est une journée de travail ordinaire. Après tout, ils ont systématiquement battu des records pour les plus rapides et les plus récentes montées. Deux d’entre eux ont atteint le sommet de l’Everest 21 fois. Alors, comment font-ils ? Selon une nouvelle étude menée par des scientifiques de l’université de Cambridge, la réponse pourrait littéralement être dans leur sang.
Pour ceux qui tentent de franchir la plus haute montagne du monde, le plus grand défi est de surmonter les hautes altitudes et l’atmosphère à faible teneur en oxygène. C’est pourquoi une expédition pour l’Everest prend environ deux mois, les grimpeurs doivent s’acclimater à leur environnement et donner à leurs corps le temps de s’adapter aux changements afin d’éviter les problèmes de santé liés à l’altitude, qui peut entraîner des maux de tête et des nausées dans les cas légers et le décès dû à une accumulation de liquide dans le cerveau et/ou dans les poumons dans les cas extrêmes. Souvent, les grimpeurs doivent compter sur des apports supplémentaires en oxygène.
Pour les sherpas, qui ont migré vers le Népal depuis le Tibet, il y a environ 500 ans, leur capacité à vivre normalement à une altitude aussi élevée pourrait sembler surhumaine. La nature, cependant, a une explication plus simple : l’évolution. De précédentes études ont suggéré que les Sherpas ont un gène qui leur permet de survivre dans cet environnement, ce qui n’est pas complètement dénué de sens étant donné que les premiers humains sont arrivés sur le plateau tibétain il y a 30 000 ans.
Selon le responsable de cette recherche, Andrew Murray de l’université de Cambridge :
Les Sherpas ont passé des milliers d’années à vivre en haute altitude, il n’est donc pas étonnant qu’ils se soient adaptés pour utiliser plus efficacement l’oxygène et générer de l’énergie.
Mais comment leur corps s’est-il adapté à cet environnement à faible teneur en oxygène ? Les chercheurs soupçonnaient que les cellules des sherpas étaient en quelque sorte adaptées à mieux utiliser l’oxygène disponible et que cela avait probablement quelque chose à voir avec leurs mitochondries, les générateurs d’énergie de la cellule.
Pour tester leur hypothèse et comprendre les différences métaboliques entre les sherpas et les personnes des régions moins hautes, ils ont entrepris une expédition scientifique appelée Xtreme Everest 2 dans l’un des deux camps de base de l’Everest, situé à une altitude de 5 300 mètres. Les sujets de l’étude étaient 10 chercheurs du Caucase et 15 sherpas. Des prélèvements des scientifiques, comprenant des prélèvements sanguins et des biopsies musculaires, ont été réalisés à Londres avant leur départ pour avoir des échantillons de référence. Un deuxième lot a été pris quand ils sont arrivés au camp de base et un troisième après avoir passé deux mois là-bas. Ces échantillons ont été comparés à ceux des Sherpas, dont les prélèvements de référence ont été obtenus à Katmandou au Népal.
Comme prévu, les chercheurs ont constaté que les mitochondries des sherpas étaient bien meilleures à utiliser l’oxygène, peu importe où elles étaient situées. Même si les corps des scientifiques ont finalement montré des signes d’adaptation à l’altitude, ils ne correspondaient à celles plus efficaces des sherpas selon Murray.
La différence essentielle entre les mitochondries des sherpas et celles des chercheurs réside dans la façon dont elles produisent de l’énergie. Il existe essentiellement deux façons de le faire : l’une consiste à brûler des sucres, comme le glucose, l’autre est de brûler ou d’oxyder les graisses. Nous recevons habituellement notre énergie par le biais de cette dernière. Cependant, le problème c’est que cela nécessite davantage d’oxygène que la première méthode, ce qui en fait un processus inefficace en altitude. Pour les mitochondries des sherpas, l’oxydation du glucose est un avantage biologique qui leur permet de faire plus avec moins.
L’autre découverte frappante est la façon dont les niveaux de phosphocréatine des chercheurs se sont effondrés après avoir passé deux mois au camp, tandis que les réserves d’énergie dans les muscles des Sherpas ont augmenté en altitude malgré le manque d’oxygène. Trouvée dans les cellules musculaires, la phosphocréatine, qui est également connue sous le nom de phosphate de créatine, joue un rôle important dans la contraction musculaire lors d’intenses efforts. Plus vous en avez dans les muscles, plus ils pourront subir de plus longue période d’intense contraction.
Bien qu’il s’agisse d’un autre exemple de la façon dont le métabolisme des sherpas s’est adapté aux conditions en haute altitude, cela suggère également que la quantité d’oxygène que nous avons dans notre sang pourrait ne pas jouer un rôle aussi essentiel dans les fonctions du corps que nous pourrions le penser.
Selon Murray :
Nous avons vu que les sherpas et d’autres groupes apparentés au Népal ont un nombre de globules rouges plus faible que les Européens ou d’autres pays, ce qui signifie qu’ils ont moins d’oxygène dans leur sang en altitude, donc ce n’est pas seulement la quantité d’oxygène dont vous disposez, mais comment vous l’utilisez.
Pour les chercheurs, le but maintenant est d’utiliser ces résultats dans les unités de soins intensifs pour aider les patients souffrant d’hypoxie, lorsque les tissus manque d’oxygène. Face à ce problème, le corps essaie de compenser les faibles niveaux d’oxygène en produisant plus de cellules sanguines. Malheureusement, cela empire la situation du patient, car le sang devient plus épais, ce qui l’amène à se déplacer lentement et à boucher les vaisseaux sanguins. Il est intéressant de noter que de précédentes études ont montré que même si les Sherpas ont moins de globules rouges, ils ont également des niveaux plus élevés d’oxyde nitrique, un composé qui aide à ouvrir les vaisseaux sanguins (vasodilatateur) et à maintenir le flux sanguin.
Selon Mike Grocott, président de l’Xtreme Everest à l’université de Southampton :
Au Royaume-Uni, une personne sur cinq en soins intensifs meurt chaque année et même ceux qui survivent pourraient ne jamais retrouver leur précédente qualité de vie. En comprenant comment les Sherpas sont capables de survivre avec de faibles niveaux d’oxygène, nous pouvons obtenir des indices pour nous aider à identifier les personnes les plus à risque en unité de soins intensifs et à aider au développement de meilleurs traitements pour aider à leur rétablissement.
Andrew Murray décrit la recherche dans cette vidéo :
L’étude publiée dans The Proceedings of National Academy of Sciences : Metabolic basis to Sherpa altitude adaptation et présentée sur le site de l’université de Cambridge : Himalayan powerhouses: how Sherpas have evolved superhuman energy efficiency.