Des libellules simulent leur propre mort pour calmer les mâles trop chauds
Dans les Alpes suisses, la libellule Æschne des joncs (Aeshna juncea) femelle a un problème. Chaque fois qu’elle vole vers l’eau pour pondre ses œufs, seule, car cela fait déjà bien longtemps que son ex s’est déjà fait la belle, elle prend des risques, notamment celui d’être de nouveau monté par un mâle excité à l’affut. Mais cette femelle intelligente ne succombe pas si facilement aux indésirables avances.
Image d’entête : une femelle Aeshna juncea à la ponte (Alexandre TEYNIE)
Le biologiste Rassim Khelifa de l’université de Zurich (Suisse) a d’abord surpris une femelle libellule poursuivie par un mâle en route vers un étang, il y a quelques années de cela, et il fut surpris de ce qui se passa ensuite. Il en a fait une étude qui vient d’être publiée et il y écrit :
Le 5 juillet 2015, alors que j’attendais près d’un étang vers Arosa, à environ 2000 m d’altitude, je fus témoin du plongeon au sol d’une libellule poursuivie par une autre libellule… À l’approche de ces deux insectes, je me suis rendu compte que c’était des Aeshna juncea, que l’individu qui s’était écrasé était une femelle, et qu’elle était immobile et à l’envers sur le sol …. Le mâle a survolé la femelle pendant quelques secondes puis il est parti. Je m’attendais à ce que la femelle soit inconsciente ou même morte après son atterrissage, mais elle m’a surpris en décollant rapidement lorsque je me suis approchée.
Khelifa a continué à observer 31 autres de ces indésirables avances et il a constaté que dans 27 d’entre elles, la femelle libellule a joué la morte. Cela a fonctionné 21 fois et l’insecte mâle s’est rapidement éloigné. Chacun des incidents s’est produit près de l’eau, alors qu’une femelle solitaire s’éloignait ou s’approchait de ses œufs.
Comme l’expliquent les chercheurs, la copulation est une activité risquée pour la libellule femelle Æschne des joncs, surtout quand elle vient de déposer ses œufs.
La fonction du pénis n’est pas seulement limitée au transfert de spermatozoïdes, mais aussi à éliminer les spermatozoïdes laissés des précédentes accolades dans l’organe de stockage femelle. En fait, les mâles ont évolué pour avoir une forme de pénis “sophistiquée” qui balaie/ évacue les spermatozoïdes du tractus reproducteur de la femelle.
Image d’un pénis de libellule tirée d’une vieille étude concernant la “Double fonction du pénis de la libellule : élimination et transfert des spermatozoïdes”. (Jonathan K. Waage /AAAS)
Par conséquent, comme une copulation est suffisante pour fertiliser tous les œufs, il est désavantageux d’en effectuer d’autres… compte tenu des coûts de survie potentiels.
Ce comportement n’a jamais été observé chez les libellules, mais il a été observé chez d’autres arthropodes. Khelifa note que deux espèces d’Asilidae le font, tout comme la mante religieuse européenne. L’araignée Pisaure admirable le fait aussi, mais avec un délicieux renversement des rôles et des genres : après l’accouplement, les mâles font le mort pour éviter d’être mangés par les femelles.
L’étude publiée dans The Scientific Naturalist : Faking death to avoid male coercion: extreme sexual conflict resolution in a dragonfly.