Comment différentes plantes carnivores ont développé de la même manière leur gout pour la chair tout en étant très éloignées les unes des autres ?
Les plantes carnivores restent une nouveauté dans le monde de la botanique et tout un tas d’interrogations se posent à leur sujet comme : comment des plantes carnivores, pourtant lointainement apparentées et de différentes parties du monde, ont-elles développé séparément le même gout pour la chair ?
Dans une nouvelle analyse, des chercheurs ont examiné différentes espèces de plantes carnivores qui utilisent des pièges à fosses (cruches) en Australie, en Amérique du Nord et en Asie et ils ont constaté que leurs mécanismes biologiques pour digérer les insectes étaient remarquablement similaires, même si les plantes ont évolué pour devenir carnivores dans des environnements très différents.
Selon le biologiste Victor A. Albert de l’université de Buffalo :
Cela suggère qu’il y a seulement des voies limitées pour devenir une plante carnivore. Ces plantes ont une trousse à outils génétiques, et elles essaient de trouver une réponse au problème sur la façon de devenir carnivore. Et à la fin, elles ont toutes trouvé la même solution.
Albert et son équipe ont séquencé le génome de la plante à cruche australienne, Cephalotus follicularis et l’ont comparée aux données génétiques existantes pour l’espèce nord-américaine (Sarracenia purpurea) et asiatique (Nepenthes alata).
Image d’entête, Cephalotus follicularis (Holger Hennern/ Wikimédia) et ci-dessous Sarracenia purpurea (Pouzin Olivier).
Toutes ces plantes se ressemblent, avec une feuille en forme de cupule cireuse dont l’intérieur est glissant, ainsi quand les insectes s’y aventurent, ils ont du mal à s’en échapper. Une fois capturée, les fluides digestifs au fond de la cavité décomposent la proie, la plante carnivore peut ainsi absorber les nutriments de son repas à base d’insecte.
Les similitudes entre les différentes sortes de plantes à cruche sont depuis longtemps connues pour être un exemple d’évolution convergente (quand des espèces distinctes développent indépendamment les mêmes traits). Mais jusqu’à présent, les scientifiques ne se sont pas rendues pas compte à quel point leur biologie était semblable.
La distinction des lignées de ces trois plantes est probante. La Cephalotus follicularis est plus étroitement liée au carambolier, tandis que la Sarracenia purpurea et la Nepenthes alata partagent respectivement des liens de parenté avec le kiwi et le sarrasin.
Mais l’analyse du fluide digestif des plantes montre que les trois espèces ont utilisé la même astuce au cours de leur évolution : coopérer avec des protéines utilisées à l’origine pour se défendre contre la maladie et les réutiliser en enzymes qui pourraient aider à la digestion d’insectes assez malchanceux pour se faire piéger.
Deux de ces enzymes incluent la chitinase, qui décompose l’exosquelette des insectes et une phosphatase (purple acid phosphatase) qui permet à ces plantes d’absorber le phosphore nutritif de leur proie.
Selon les chercheurs, les lignées de ces différentes plantes se sont divisées il y a plus de 100 millions d’années, bien avant qu’ils développent ces capacités carnivores.
Alors pourquoi ces espèces ont-elles développé le goût pour la chair d’insectes, alors que d’autres plantes se sont contentées du soleil et de l’eau ?
L’équipe pense que la réponse réside dans les environnements dans lesquels ces espèces ont grandi, qui aurait pu être particulièrement pauvre en aliments essentiels à défaut de fournir des éléments fertilisants comme le phosphore et l’azote qui aident ces plantes carnivores à croître.
Selon le chercheur Kenji Fukushima de l’université du Colorado :
Les plantes carnivores vivent souvent dans des milieux pauvres en nutriments, de sorte que la capacité à piéger et à digérer les animaux peut être indispensable étant donné la pénurie d’autres sources de nourriture.
Le fait que ces trois espèces de plantes carnivores à pièges à fosses choisissent le même chemin évolutif ne signifie pas nécessairement que les autres options ne sont pas ouvertes, mais cela pourrait signifier que la réorientation des protéines défensives en sucs digestifs était la voie de survie la plus pratique dans les circonstances qu’elles rencontrent.
L’étude publiée dans Nature Ecology & Evolution : Genome of the pitcher plant Cephalotus reveals genetic changes associated with carnivory.