Pourquoi le rat-taupe nu ne ressent-il pas la douleur ?
L’étrange rat-taupe nu d’Afrique vit sous terre, dans le désert, et il est unique pour plusieurs raisons : il peut vivre jusqu’à 30 ans (2 ans chez le rat), il est résistant au cancer et il présente l’une des plus efficaces utilisations de l’oxygène dans le monde animal.
Et pour rajouter aux super pouvoir de cette créature, le rat-taupe présente une résistance à la douleur. Des chercheurs à Berlin ont ainsi étudié le rongeur pour comprendre la sélection génétique qui a engendré à cette particularité.
L’étude de l’équipe de recherche composée de chercheurs d’Allemagne, d’Afrique du Sud et du Royaume-Uni, portait sur la capacité du rongeur à résister à des températures extrêmes, sans ressentir de douleur. Le rat-taupe nu est le seul mammifère qui peut changer sa température corporelle en fonction de l’environnement, un trait estimé être lié au rude habitat de l’espèce.
Selon le coauteur de l’étude, Gary Lewin, biologiste au Centre de médecine moléculaire Max Delbrück :
Ils vivent sous terre dans des régions désertiques et ils doivent beaucoup travailler pour trouver de la nourriture. Ils ont les taux métaboliques les plus bas de tous les mammifères. L’évolution a désactivé tout ce qui n’est pas absolument nécessaire, y compris les récepteurs nerveux supplémentaires.
Dans leur étude, les chercheurs ont voulu jeter un œil aux différences, au niveau cellulaire, entre les rats-taupes et d’autres animaux qui ressentent la douleur. Ils ont utilisé les processus cellulaires entourant l’hyperalgésie, la sensibilité accrue qui se produit lorsque les tissus d’un animal sont enflammés (comme la zone d’un coup de soleil qui est plus douloureuse qu’une zone de peau non affectée).
Quand les humains éprouvent l’hyperalgésie, nos molécules de facteur de croissance des nerfs se lient à un récepteur appelé TrkA. Cela entraine un processus chimique qui envoie finalement un signal au cerveau pour prendre en compte la douleur à des températures que nous allons trouver inacceptable.
Les rats-taupes nus ne connaissent pas l’hyperalgésie. L’équipe de recherche a recréé le processus chimique chez la souris, qui a une sensibilité à la douleur semblable à la nôtre, en remplaçant diverses molécules et cellules avec celles des rats-taupes.
D’après leurs résultats, la différence entre les deux espèces se résume à quelques acides aminés échangés sur une section du récepteur TrkA du rat-taupe. Ces changements ne signifient pas que les rats-taupes sont complètement insensibles à la douleur, mais qu’ils sont “hyposensitif” (ou hypoalgésique). C’est une importante différence, parce que le manque de prise de conscience de la douleur apporterait une foule de problèmes.
Selon Lewin :
Nous pensons que l’évolution a sélectionné cette capacité assez subtilement de telle sorte que la signalisation de la douleur devient non-fonctionnel, mais pas assez forte pour qu’elle mette en danger l’animal.
En ce qui concerne les humains, des mutations dans les gènes qui codent pour des molécules de facteur de croissance des nerfs peuvent engendrer des problèmes d’insensibilité à la douleur. Comme noté plus haut, ceux-ci sont extrêmement dangereux : vous êtes malade et vous ne le ressentez pas et idem pour les blessures et autres traumas.
Les mutations du gène TrkA sont très néfastes chez les humains, mais ici nous montrons que l’évolution a opté pour un changement(s) de séquence dans le gène du rat-taupe nu qui est non seulement fonctionnellement puissant, mais aussi compatible avec la survie des espèces.
L’étude publiée dans Cell Reports : Hypofunctional TrkA Accounts for the Absence of Pain Sensitization in the African Naked Mole-Rat.