Moby Dick : les cachalots ont le melon pour éperonner
Une nouvelle étude a tenté de savoir si, tel Moby Dick du fameux roman d’Herman Melville, les cachalots sont capables d’éperonner.
Moby dick est inspiré d’un incident qui s’est produit en 1820, quand un cachalot a attaqué et coulé l’Essex, un navire baleinier du Massachusetts. Depuis, les biologistes marins se demandent si ces animaux pratiquent habituellement l’éperonnement. Une nouvelle étude suggère que cela pourrait être le cas.
Les cachalots ont des “fronts” très uniques dans le règne animal. Il se compose de deux grands sacs, le spermaceti et le melon (junk en anglais), remplis notamment d’une substance blanche (cires et triglycérides). Ces sacs sont posés l’un sur l’autre, se prolongeant sur un tiers de la longueur totale du cachalot et représentant plus d’un quart de sa masse. Une nouvelle étude démontre que cette structure est suffisamment robuste pour être utilisé par les mâles pour éperonner.
A partir de l’étude : représentation schématique de la tête d’un cachalot (Ali Nabavizadeh/ PeerJ)
L’hypothèse de l’éperonnement est apparue au 19e siècle, mais il existe très peu de données pour la soutenir, en dehors de quelques récits anecdotiques. L’idée de base est que les cachalots mâles s’affrontent par ce biais pour accéder aux femelles. Cela pourrait être vrai, car seuls les mâles arborent ce front proéminent.
Mis à part le manque de données, le principal problème de cette théorie est que le spermaceti effectue un certain nombre de fonctions utiles. Il contient des structures anatomiques sensibles nécessaires à l’écholocation, à la sélection sexuelle acoustique, à la débilitation acoustique (étourdir les proies) et dans le contrôle de la flottabilité. Ces structures pourraient être gravement endommagées lors d’éperonnement, remettant en question l’hypothèse.
Mais les chercheurs estiment que c’est le melon, et pas le spermaceti, qui est engagé durant l’éperonnement. Selon l’Australienne Olga Panagiotopoulou, spécialisée dans l’évolution des morphologies, et ses collègues, le melon agit comme un puissant absorbeur de choc qui réduit de manière significative le stress mis sur les os et le crâne lors de chocs. L’analyse de son équipe montre que les cloisons de tissu conjonctif au sein du melon réduisent les contraintes à travers l’ensemble du crâne.
En utilisant des modèles informatiques et des principes de l’ingénierie des structures, Panagiotopoulou a démontré que c’était effectivement le cas. En simulant des impacts d’éperonnas, les chercheurs ont été en mesure d’enregistrer où les impacts engendreraient le plus de stress. De plus, lorsque les tissus verticaux qui composent le melon ont été enlevés, le stress global exercé sur le crâne a augmenté de 45 %.
(Olga Panagiotopoulou et col. / PeerJ)
Selon les chercheurs :
Bien que la structure unique du melon sert certainement à de multiples fonctions, nos résultats sont cohérents avec l’hypothèse que la structure a également évolué pour fonctionner comme un bélier massif au cours des compétitions mâle-mâle.
Une explication mécanique ne suffit pas à prouver la fonction ou le comportement, mais d’autres indices existent. Les biologistes marins ont déjà observé des tissus cicatriciels dans les zones de surface correspondant au melon des cachalots mâles. Et en 1997, la pilote et biologiste Sandra Lanham a effectivement observé depuis le ciel des mâles s’éperonnant et elle en a fait un compte rendu :
Les cachalots nageaient l’un vers l’autre sans changements de vitesse évidents ou d’écarts, effectuant occasionnellement des plongées peu profondes. A 6 mètres l’un de l’autre, le plus petit s’est placé à une faible profondeur et en une fraction de seconde, le plus grand l’a fait aussi. A niveau sous l’eau, ils se sont éperonnés tête à tête. L’un a coulissé sur le côté de l’autre de sorte que leurs têtes et le tiers supérieur de leur corps se sont chevauchés. Ils ont roulé légèrement leur ventre l’un vers l’autre. Il est apparu que chacun avait sa bouche grande ouverte. Selon moi, ils essayaient de se bloquer les mâchoires ou de se mordre la tête.
Il a fallu aux cachalots environ 11 à 12 minutes pour se rejoindre et s’éperonner, ce qui signifie qu’ils se déplaçaient probablement à environ 16 à 19 km/h lorsqu’ils se sont touchés. En volant directement au-dessus, Lanham était dans une position idéale pour observer l’évènement.
Pour Panagiotopoulou, les observations depuis 1997, couplée avec les rapports d’attaques sur les navires de chasse à la baleine/ cachalot (…) du 19e siècle, suggère que les cachalots emploient parfois cette tactique d’attaque.
Malgrés tout, cette étude ne prouve pas totalement que les cachalots mâles se livrent à des épisodes d’éperonnement. Il manque davantage images et, de toute évidence, d’autres observations sur le terrain seront nécessaires pour en être sûr.
L’étude publiée dans PeerJ : Architecture of the sperm whale forehead facilitates ramming combat.