Au cœur du moteur des bactéries
De nombreuses bactéries nagent en utilisant des flagelles, une longue queue attachée à des petits moteurs en protéines, de quelques dizaines de nanomètres de largeur. Ils font tourner les flagelles, qui fonctionnent comme des hélices, à l’échelle nanométrique, pour propulser la bactérie vers l’avant.
Même si la structure de base de ces moteurs est la même dans diverses bactéries, elles peuvent avoir différentes puissances de nage. Par exemple, la bactérie Campylobacter jejuni, qui provoque des intoxications alimentaires, peut nager avec suffisamment de force pour passer à travers le mucus qui tapisse l’intestin, un environnement trop épais et collant pour d’autres bactéries.
Les raisons de ces différences de puissances de nage sont restées obscures, jusqu’à maintenant. L’utilisation d’un puissant microscope électronique, récemment installé à l’université britannique, l’Imperial College London, a permis à une équipe de chercheurs de cette même université de visualiser, pour la première fois, ces moteurs en détail. Leurs visualisations expliquent les variations dans leur capacité à nager, tenant compte mathématiquement des différences dans la puissance de leur moteur.
Les moteurs flagellaires bactériens fonctionnent sur un mécanisme de rotation, faisant tourner leur longue queue flagellaire pour produire un mouvement hélicoïdal, comme une hélice. L’équipe a constaté que les plus puissants nageurs ont profité de pièces supplémentaires, merci l’évolution, à leurs machineries, ce qui a augmenté la force de rotation, ou le couple.
Pour les moteurs flagellaires, la force de rotation est produite par un anneau de structures, appelées stators, autour du moteur. L’équipe a constaté que les bactéries Campylobacter jejuni avaient presque deux fois plus de stators autour du moteur que les salmonelles et que ces structures sont positionnées dans un anneau plus large. Ces stators supplémentaires permettent d’augmenter le couple et l’accroissement de la largeur de l’anneau signifie qu’individuellement, chaque stator exerce davantage de force lors de la rotation hélicoïdale de l’hélice.
Cependant, toutes les bactéries n’ont pas besoin d’être aussi puissantes et elles ne nagent pas toutes dans des environnements aussi visqueux que le mucus de l’estomac. L’équipe a également examiné une autre bactérie, un proche parent de la Vibrio cholerae, la bactérie qui cause le choléra, qui a un moteur bien moins puissant que la Campylobacter jejuni.
Image d’entête (clic pour agrandir) : reconstruction 3D des moteurs des bactéries Salmonella, Vibrio, et Campylobacter avec en arrière plan le modèle d’origine. Ci-dessous les mêmes moteurs présentant des différences dans leur couple (Morgan Beeby / Imperial College de Londres)
Selon Morgan Beeby qui a dirigé l’étude :
Pour la première fois, nous avons été en mesure de voir et d’expliquer comment ces machines moléculaires nanométriques ont évolué chez les bactéries pour coloniser de nouveaux environnements. C’est un aperçu fascinant de l’impressionnante diversité de la vie qui a évolué sur Terre, et présente également des cibles possibles pour les médicaments. Nous pouvons être en mesure de concevoir des médicaments qui sabotent spécifiquement les flagelles dans des espèces bactériennes ciblées.
L’équipe a utilisé une méthode appelée cryotomographie pour geler rapidement les bactéries à -180⁰C. Cela empêche les cristaux de glace de se former, ce qui briserait la structure, permettant aux chercheurs d’observer le moteur figé/ congelé sous tous les angles et d’en construire un modèle 3D.
En étudiant des bactéries lointainement apparentées de différentes branches de l’arbre de l’évolution, l’équipe spécule que cette modification du couple pourrait avoir évolué il y a deux milliards d’années.
L’étude publiée dans The Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) : Diverse high-torque bacterial flagellar motors assemble wider stator rings using a conserved protein scaffold.