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Gobie-langur aqueuse@GuruMeditation_optimized

Se trémoussant à l’aide de leurs nageoires pectorales pour chercher de la nourriture au fond de l’eau, les poissons-grenouille se sont adaptés à la vie dans et hors de l’eau. Cette semaine, une étude à l’aide de  vidéo au ralenti et sous rayons X montre comment ces poissons amphibies utilisent une gorgée d’eau comme une langue pour capturer et avaler de la nourriture sur la terre ferme, une constatation qui peut offrir un aperçu sur la façon dont la langue charnue des tétrapodes terrestres ont évolué à partir des poissons,  il y a 400 à 350 millions d’années.

Les scientifiques ont méticuleusement étudié l’évolution des membres et du squelette des tétrapodes, mais d’autres aspects de notre invasion terrestre restent flous. Comment, par exemple, nos ancêtres mangeaient-ils ?

Bon nombre de poissons se nourrissent par succion. Alors qu’ils ouvrent leurs mâchoires, un os en forme de fer à cheval, appelé l’os hyoïde, pousse vers le bas sur le plancher de la bouche, l’élargissant, créant un flux d’eau qui attire les proies à l’intérieur. Même les espèces qui mordent et grignotent s’appuient sur une aspiration similaire pour avaler de la nourriture une fois qu’elle est à l’intérieur de leurs bouches.

Cette technique fonctionne parce que les poissons sont constamment entourés d’eau, mais elle ne fonctionne pas sur la terre ferme. Heureusement, les tétrapodes résolvent ce problème avec une langue musculaire, ce qui contribue à déplacer la nourriture de la bouche à la gorge. Une fois de plus, l’os hyoïde est impliqué, c’est l’os auquel la langue est attachée. Mais comment cette structure a-t-elle évolué ? Comment l’os hyoïde est-il passé d’un os qui crée une aspiration à celui qui déplace une langue ? Comment les premiers tétrapodes avalaient ?

Ces questions ont été difficiles à résoudre, car très peu de fossiles des premiers tétrapodes contiennent des traces décentes de l’os hyoïde. Mais Michel Krijn de l’université d’Anvers en Belgique a adopté une tactique différente : il a étudié le poisson-grenouille (de la famille des Gobiidae) appelé le sauteur de vase atlantique (Periophthalmus barbarus, en image ci-dessous). Cette petite créature ressemble à un petit butoir de porte avec une paire de nageoires et des yeux écarquillés et il vit dans les mangroves de l’Afrique de l’Est, l’océan Indien et le Pacifique occidental. Il passe énormément de temps sur la terre. Il se déplace à l’aide de ses nageoires, combattant, s’accouplement et s’alimentant à l’air libre.

Sauteurs de vase atlantique (Wikipédia)1200px-GambianMudskippers

Michel Krijn a filmé des sauteurs de vase atlantique avec des caméras à grande vitesse alors qu’ils aspiraient des morceaux de crevettes qui avaient été placés sur des surfaces sèches. Alors qu’il examinait les vidéos, il a remarqué quelque chose de bizarre. Dans les instants après que la créature se penche en avant et ouvre sa bouche, une petite bulle d’eau dépasse de ses mâchoires ouvertes. L’eau se répand sur le morceau de nourriture, que le poisson-grenouille enveloppe avec sa bouche. Il aspire alors, à la fois le morceau et de l’eau.

Vidéo tirée de l’étude :

L’eau agit comme une "langue hydrodynamique", selon les mots de Michel. Il permet au poisson de laper sa nourriture et ensuite de l’avaler.

Michel a montré l’importance de la “langue” en plaçant des morceaux de crevettes sur une surface absorbante pour filmer les gobies avec une caméra à rayons X. Cette fois, alors que les créatures se penchaient, l’eau contenue dans leur bouche fut absorbée. Ils pouvaient encore attraper les crevettes dans leurs mâchoires, mais ils ne pouvaient pas les avaler. Sur 70 % de leurs frappes, ils ont dû retourner à l’eau pour reformer leur “langue aqueuse”.

Vidéo aux rayons X du processus de succion du sauteur de vase atlantique :

Même chose avec une surface hautement absorbante :

Cela explique pourquoi les sauteurs de vase atlantique remplissent presque toujours leur bouche avec de l’eau avant de s’aventurer sur la terre ferme. En gardant cette langue aqueuse, ils peuvent récupérer plusieurs gorgées avant d’avoir à retourner à l’eau. En revanche, l’anguille-poisson-chat (Channallabes apus), qui s’aventure également sur terre, mais n’utilise pas la même astuce, doit toujours revenir à l’eau après avoir attrapé sa proie.

Selon Beth Brainerd de l’université Brown :

Ces résultats suggèrent que d’avaler des aliments à l’air libre peut-être un problème important pour la transition de l’eau vers la terre lors de l’évolution des vertébrés. Lorsque les premiers tétrapodes ont commencé à s’alimenter à terre, ils ont dû évoluer une nouvelle façon de déplacer la nourriture à l’arrière de la gorge pour avaler.

Peut-être utilisaient-ils une langue similaire aux poissons-grenouille, mais il est important de se rappeler que ce sont des poissons modernes et non des tétrapodes en devenir. Des centaines de millions d’années d’évolution les séparent de nos ancêtres terrestres colonisateurs. Tout au plus, ils peuvent laisser des indices sur les types de stratégies que les premiers tétrapodes auraient utilisés quand ils ont déménagé sur la terre ferme.

Une langue aqueuse, par exemple, aurait pu fournir une solution provisoire viable, permettant aux animaux de se nourrir tandis que leurs os hyoïdes changeaient et qu’ils développaient une langue musculaire. En effet, lorsque Michel a braqué ses caméras à rayons X sur un poisson et un triton, pour voir comment leurs hyoïdes se déplaçaient lorsqu’ils mangeaient, il a constaté que les mouvements du triton ressemblaient plus à ceux des poissons-grenouille. L’os effectue le même genre de mouvements, même s’il n’y a pas d’organe musculaire qui s’y rattache.

L’étude publiée sur Proceedings B of the  Roy Society : A fish that uses its hydrodynamic tongue to feed on land.

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