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Caenorhabditis briggsae

Quand il s’agit de sexe, les animaux ont développé une multitude d’astuces pour éviter de se mélanger avec d’autres espèces. Mais, dans certains cas, les similitudes entre les espèces sont tout simplement trop fortes, alors des processus internes, comme la capacité d’une femelle à détecter le sperme d’une autre espèce, pour choisir celui qui appartient à la sienne, doivent prendre le relais. C’est ce qui tend à se produire avec les vers Caenorhabditis, un genre de nématode. Malheureusement, cela ne fonctionne pas toujours, parfois les spermatozoïdes sont tout simplement trop rapide et les choses peuvent mal tourner.

Asher Cutter, un biologiste évolutionniste à l’Université de Toronto et son équipe ont constaté que les gonades femelles peuvent être envahies par le sperme de mâles étrangers, conduisant à leur stérilité permanente et parfois la mort.

Dans cette nouvelle étude publiée cette semaine, l’équipe de biologistes décrit comment ils sont passés de l’observation du mécanisme que les vers Caenorhabditis utilisent pour empêcher les gènes de se mélanger avec des espèces différentes, souvent en utilisant des cellules et des organes reproducteurs femelles dépareillés, à l’observation de l’espèce Caenorhabditis briggsae “envahie par le sperme."

Ils étaient fascinées par l’idée que l’accouplement avec de “mauvaises espèces” dans de nombreux organismes n’a souvent pas beaucoup de conséquence à long terme, en ce sens qu’il n’y a souvent pas d’échange de gènes entre les espèces. Ainsi, ils ont commencé à essayer de faire des hybrides génétiques entre les espèces.

Pour ce faire, ils ont croisé des femelles de C. briggsae, une espèce principalement composée de femelles qui se fertilisent avec le sperme qu’elles ont elles-mêmes produit, de sorte que les chercheurs les considèrent comme "hermaphrodites", avec des mâles d’une autre espèce appelée C. nigoni. Ces deux espèces sont très étroitement liées, pouvant ainsi produire une descendance viable et fertile. Mais comme les chercheurs l’ont observé pour la première fois, quand ce couple  produit des œufs, leur progéniture est beaucoup moins nombreuse qu’elle le serait normalement et au lieu d’être de plusieurs centaines, ils se retrouvent à 10 ou 20, ce qui était très inattendu.

Pour comprendre ce qui se passe réellement à l’intérieur de ces vers translucides, les chercheurs ont utilisé un colorant fluorescent pour pouvoir observer le sperme migrer à l’intérieur des corps après l’accouplement. Ils ont constaté que le sperme provenant de mâles de la “mauvaise” espèce migre souvent dans des parties inappropriées du corps de leurs camarades, loupant parfois totalement les organes reproducteurs.

Ce phénomène, que les chercheurs ont appelé une "invasion de spermes" dynamique, les a beaucoup surpris car, dans les cas extrêmes, la grande quantité de sperme migrait autour de la cavité du corps, au lieu de se diriger vers les organes reproducteurs. Cela a conduit à la stérilité des hermaphrodites avec qui les mâles s’étaient accouplés et aussi leur mort précoce. Et quand les hermaphrodites ont réussi à produire des embryons hybrides, ils n’étaient “pas prévus par la vulve”, écrivent les chercheurs et ils se sont retrouvés coincés dans l’oviducte. C’est l’une des nombreuses façons dont le sperme nigoni stérilisent les hermaphrodites briggsae, selon Eric Haag, biologiste à l’université du Maryland et co-auteur de l’étude.

Pourtant, l’accouplement des mâles C. briggsae avec les femelles C. nigoni non hermaphrodites n’a pas causé la mort prématurée des femelles. Cependant, Il a encore conduit à la stérilisation, lorsque les femelles s’accouplaient avec les mâles plus d’une fois.

Selon Cutter :

En dépit de l’aspect un peu grotesque, une caractéristique intéressante (des hermaphrodites) qui se sont  accouplés à des mâles d’une autre espèce, c’est que le mélange n’a pas encore permis l’échange de gènes entre les espèces

C’est un peu comme quand les femelles ignorent (biologiquement) le sperme étranger au cours de la fécondation. Ainsi, on peut considérer cela comme la réussite du mécanise d’évitement dans une relation interespèce.

Comme ce phénomène n’a pas été décrit avant, les chercheurs le considèrent comme “sans précédent” dans le document. Mais certains aspects de ces observations ne sont pas tout à fait nouveaux, étant donné qu’il existe d’autres espèces animales où les spermatozoïdes se déplacent à travers la cavité du corps avant la fertilisation des ovules, un exemple dans le merveilleux article du Guru : “Et si on taillait au laser les épines du pénis de ce coléoptère ?”. Mais généralement, cette migration est un précurseur à la fertilisation, ce qui signifie qu’il ne provoque pas l’infertilité ou la mort.

Les chercheurs ne savent pas encore ce qui permet au sperme de migrer au-delà de la spermathèque, l’organe féminin où a lieu la fécondation. Dans des circonstances normales, le fait d’avoir des spermatozoïdes qui peuvent migrer rapidement vers l’appareil reproducteur est avantageux pour les mâles qui sont en concurrence avec d’autres mâles pour atterrir au meilleur endroit à l’intérieur de la spermathèque. Mais dans ce cas, les signaux qui maintiennent le sperme à l’intérieur de l’organe semblent s’être détraqués. Selon les chercheurs, il se pourrait que le liquide séminal contienne un composé que les cellules spermatiques libèrent et qui provoque le relâchement des muscles de l’oviducte. En conséquence, le sperme serait capable de ramper jusqu’à la cavité du corps, l’utilisation du mot "ramper" est importante car ces spermatozoïdes sont amiboïdes, ce qui signifie qu’ils utilisent des protubérances du corps de la cellule pour se pousser en avant, au lieu de “nager" avec une queue. L’autre possibilité, est qu’il pourrait y avoir une sorte de court-circuit des signaux impliquant un mélange de prostaglandine, un signal chimique qui sert habituellement à attirer le sperme vers le site de fécondation.

Mais même après avoir déterminé cela, un certain nombre de questions demeurent. Par exemple, les scientifiques ne connaissent pas l’ampleur du phénomène, ou quelles sont les caractéristiques biologiques qui rendent les organes reproducteurs féminins plus résistants aux spermatozoïdes étrangers.

Les biologistes estiment que les hermaphrodites sont particulièrement vulnérables parce qu’ils s’accouplent rarement et quand ils le font c’est généralement avec un seul mâle. Cela signifie que la compétition entre mâles est “plus ou moins inexistant” et au fil du temps leur corps et leur sperme ont évolué pour devenir plus bénins. Ainsi, les hermaphrodites auraient pu biologiquement "baisser la garde" au fil du temps et des évolutions.

Cela fonctionne bien tant qu’ils s’accouplent uniquement avec leurs propres hommes, mais il est clair problèmes se posent quand ils s’accouplent avec des mâles de croisements d’espèces.

Et, bien sûr, il reste la question de ce que font les spermatozoïdes pour tuer les C. briggsae hermaphrodites.

Selon Haag :

Nous imaginons que pour sortir de la gonade, le sperme doit perforer la membrane qui l’entoure. Cela risque de provoquer une fuite de matière d’un compartiment à un autre, ce qui pourrait directement les blesser.

Une autre possibilité est que le sperme endommage les délicates structures de l’organisme à l’extérieur de la gonade, comme les neurones.

Nous les avons observés se diriger dans la région de la tête, où se trouvent la plupart des neurones. Mais pour l’instant, la biochimie et les détails génétiques contrôlant ces divergences sont encore un mystère pour nous.

L’étude publiée dans PLoS Biology : Intense Sperm-Mediated Sexual Conflict Promotes Reproductive Isolation in Caenorhabditis Nematodes.

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