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Graneledone boreopacifica1

Durant les 25 dernières années, une équipe de chercheurs du Monterey Bay Aquarium Research Institute (MBARI), dirigée par Bruce Robison, a effectué des plongées en submersible afin d’étudier les animaux dans les profondeurs du canyon sous-marin de la baie de Monterey. En mai 2007, lors de l’une de ces plongées, les chercheurs ont découvert une pieuvre femelle agrippée à un rebord rocheux au-dessus du sol du canyon, à environ 1400 mètres sous la surface de l’océan. Appartenant à l’espèce Graneledone boreopacifica, elle n’était pas présente au cours de leur précédente plongée.

L’équipe est retournée sur le même site 38 jours plus tard et a constaté que la même femelle, facilement reconnaissable par ses cicatrices distinctives, était toujours là.

Tirée de l’étude, la femelle Graneledone boreopacifica couvant ses œufs en avril 2007 (a), mai 2007 (b), mai 2009 (c), octobre 2009 (d), décembre 2010 (e) et septembre 2011 (f).  Les cercles noirs et les flèches blanches montrent les cicatrices distinctives sur ses bras.

Graneledone boreopacifica-couvaison

Elle gardait un groupe de 160 petites bulles laiteuses collées à la roche. C’étaient ses œufs.

Pour une pieuvre femelle, la ponte des œufs marque le début de la fin. Elle a besoin de les couvrir et de les défendre contre d’éventuels prédateurs. Elle ramène doucement les courants sur eux afin qu’ils soient constamment approvisionnés en eau oxygénée. Et elle le fait en permanence, ne prenant même pas le temps de manger. Quand les œufs éclosent, elle meurt, affamée et épuisée.

Les biologistes ont rarement l’occasion de déterminer le temps que prennent ces périodes de couvaison ; ainsi, l’équipe de Robison pouvait profiter de cette rare occasion. Pendant quatre ans et demi, ils sont retournés au même endroit et ils ont retrouvé la même pieuvre, accrochée à la paroi rocheuse verticale, les bras courbés, couvrant ses oeufs. Elle ne l’a jamais quitté et il est possible qu’elle n’ait pas mangé pendant tout ce temps. Au lieu d’en faire son repas, elles repoussaient les crabes et les crevettes qui crapahutaient un peu trop près d’elle. L’équipe a offert des morceaux de crabe à l’aide du bras robotisé de ​​leur submersible, mais elle les a refusé. Elle a peut-être saisi, de temps en temps, de la nourriture à proximité ou même mangé certains de ses propres œufs, mais l’équipe n’en a aucune preuve.

Comme les années passaient, son état s’est détérioré. Lorsque l’équipe l’a vue pour la première fois, sa peau était texturée et violette, mais elle est vite devenue pâle, fantomatique et molle. Ses yeux se sont recouverts d’un voile et elle a maigri. Pendant ce temps, ses œufs ont grossi, ce qui suggère qu’ils étaient bien de la même ponte.

Ils l’observèrent pour la dernière fois en septembre 2011. Quand ils sont revenus en octobre, elle avait disparu. Ses œufs avaient éclos et les bébés étaient déjà certainement très loin, ne laissant que des capsules en lambeaux et vides, encore attachés à la roche. Les chercheurs n’ont pas réussi à retrouver le corps de la pieuvre.

Cette épique couvaison de 53 mois au total, est la plus longue connue du règne animal. La précédente détentrice du record, parmi les octopodes, revenait à un poulpe boréal en captivité qui a gardé ses œufs pendant 14 mois. Parmi les animaux placentaires, le record revient aux salamandres noires avec 48 mois.

La survie de la pieuvre est certainement liée à son inactivité et à une eau à seulement 3°C, ralentissant son métabolisme. Ce marathon des soins maternels est logique pour une pieuvre en eau profonde. Plus elle les garde, plus sa progéniture peut croître et plus de chances ils auront de survivre lors de leur éclosion. Et comme elle meurt une fois la couvaison terminée, elle a tout intérêt à les protéger aussi longtemps que possible.

La G.boreopacifica ne fixe pas beaucoup d’oeufs, en comparaison des  100 000 déposées par la pieuvre géante du pacifique, mais ils sont plus gros comme ses nouveau-nés. Ce sont les  signes d’une stratégie de reproduction appelée stratégie K, où les mères s’investissent plus en élevant moins de descendants.

Selon les chercheurs :

Le compromis au sein de la stratégie de reproduction des octopodes vivant en eau profonde se situ entre la capacité de la mère à subir une longue période de couvaison et la compétitivité de ses nouveau-nés. La Graneledone boreopacifica produit des nouveau-nés qui sont très développés, ce qui leur donne l’avantage d’un potentiel élevé de survie.

Cette période d’incubation de 53 mois est exceptionnelle, uniquement parce que les chercheurs n’ont  jamais eu l’occasion de mesurer ces périodes auparavant.

La femelle Graneledone boreopacifica en question, filmée par l’équipe du Monterey Bay Aquarium Research Institute :

L’étude publiée dans PlosOne : Deep-Sea Octopus (Graneledone boreopacifica) Conducts the Longest-Known Egg-Brooding Period of Any Animal et sur le site du Monterey Bay Aquarium Research Institute  : Deep-sea octopus broods eggs for over four years—longer than any known animal

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