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Teleogryllus oceanicus-Ormia ochracea

Pour nous autres humains, disposant d’une audition, les grillons sont probablement les plus reconnaissables par le son distinctif que produisent les mâles avec leurs ailes, pour attirer les femelles. Mais deux populations de ces insectes, vivants sur des iles hawaïennes séparées, ont perdu simultanément leurs instruments.

Nous devons tout d’abord remonter un peu dans le temps pour mieux appréhender la nouvelle découverte d’un remarquable exemple de convergence évolutive.

CCChhuutt, elles arrivent !

La biologiste Marlene Zuk (écologie, évolution et comportement) de l’université du Minnesota s’est rendu compte du phénomène en se rendant régulièrement sur l’ile hawaïenne Kauai de 1991, où les grillons (Teleogryllus oceanicus) stridulaient à tue-tête, à 2003, ou régnait un silence de mort. Ce silence s’est installé progressivement, au fil des années de moins de moins de grillons chantait et pourtant Marlene Zuck constata que les insectes, même muets, bien qu’en plus petit nombre, étaient toujours présents.

Pour percer ce mystère, la biologiste devait percer le grillon… Pour produire leur son distinctif, ces insectes frottent leurs ailes l’une contre l’autre, plus précisément deux structures derrière les ailes rentrent en contact : une veine comportant des dents espacées sur laquelle vient “racler” une partie comportant des nervures surélevées. Cette dernière apparaissait ou plutôt tendait à disparaitre, chez les grillons muets, en empruntant un angle étrange…

Ci-Dessous les ailes antérieures d’un mâle normal, mutant et d’une femelle grillons. Les micrographies (Microscopie électronique à balayage) correspondantes montrent la partie des ailes où le son est généré. Chez les mâles mutants, la veine dentelée est plus petite et repositionnée. Les femelles n’en disposent pas. (Université de Berkeley)

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…leurs ailes sont devenues plates et c’est ce qui leur a sauvé la vie.

Pour les grillons hawaïens, le silence se pose chez les mâles comme un moyen de ne pas se faire remarquer de mouches parasitoïdes (Ormia ochracea, accompagnant un grillon en image d’entête) qui sont attirées par le chant du mâle. Les larves de la mouche pénètrent à l’intérieur des grillons et les tuent dans un délai d’une semaine. Certains grillons discrets (et malins !) évitent ces mouches meurtrières et parviennent à s’accoupler en se positionnant près de mâles qui chantent malheureusement encore.

Marlene Zuck fit rapidement le rapprochement entre la mutation et la présence de ces mouches parasitoïdes, repérées dans les années 90 et qui avaient bien failli faire disparaitre la population entière de grillon en 2002. En 2003, celle-ci était de nouveau au complet et en moins de 20 générations, ils se sont tous tus. L’ile de Kauai est devenue un exemple classique de la rapidité avec laquelle la sélection naturelle peut agir dans de bonnes conditions.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là !

La même équipe de scientifique à constater, quelques années plus tard, que la même mutation commençait à faire son apparition sur une ile voisine, Oahu. De 2005 à 2007, la moitié des grillons mâles y étaient devenus très discrets.

La première supposition fut que, malgré les 110 km qui séparent les deux îles Kauai et Ohau, certains grillons aient pu, par les aires ou par bateau, atteindre l’île Ohau pour ainsi transmettre leur mutation. Ce n’était pas le cas et c’est là qu’intervient une nouvelle étude (lien plus bas) menée par l’université de St Andrews. 

Les biologistes, dirigés par Nathan Bailey (avec la participation de Marlene Zuk), ont comparé les ailes des grillons de l’île de Kauai avec celles des insectes de l’île d’Oahu et ils ont remarqué des différences de formes entre les deux populations.

mutation-aile-grillon-Oahu-Kauai

D’autres expériences en laboratoire ont montré que les ailes silencieuses, dans les deux populations de grillons, pouvaient être attribuées à des gènes uniques, liés au sexe. Cependant, en effectuant une analyse approfondie du génome, les gènes responsables sont liés à des marqueurs génétiques différents. Sur les 7000 marqueurs génétiques qui entrainent la mutation de l’aile plate (silencieuse), seulement 22 étaient communes aux deux populations. Cela suggère fortement que les deux mutations sont apparues indépendamment l’une de l’autre.

Ce qui est remarquable, c’est que le même trait apparait à peu près en même temps(simultanément sur l’échelle de l’évolution) sur les deux îles , mais de façon indépendante et de différentes manières avec la même finalité, le silence.

Pour les chercheurs, cela en fait un remarquable exemple d’évolution convergente (ou convergence évolutive) se déroulant sous leurs yeux “en temps réel”, et il y a encore beaucoup à en apprendre. Il tente maintenant de déterminer précisément les gènes impliqués et les voies de développement concernés, ainsi que leurs interactions avec le reste du génome du grillon.

L’étude publiée dans Current Biology : Rapid Convergent Evolution in Wild Crickets.

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