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Meconema-sauterelle-accouplement

Menottes, pointes et pièges acérés ne sont pas réservés qu’aux amateurs humains de bondage, ils sont aussi présents dans le monde des insectes et pas pour le plaisir.

Une nouvelle étude tente d’expliquer pourquoi certaines sauterelles (Tettigoniidae), habituellement de douces créatures, deviennent violentes quand il s’agit de sexe et par la même, elle permet de mettre un point final à un débat vieux de plusieurs décennies au sujet de leurs habitudes d’accouplement.

Chez quelques espèces de sauterelle, dispersés à travers l’arbre de l’évolution, des biologistes de l’université de Derby et du Sussex (Angleterre) ont déterminé que les mâles ont développé, merci l’évolution, un système de pince, appelé ptérygopodes, près de leurs organes génitaux. Ils les utilisent pour maintenir les femelles aussi longtemps que possible après le rapport sexuel, après avoir transféré la totalité de leur sperme. Il en résulte des sessions d’accouplement à en faire tourner de l’œil Rocco Siffredi, jusqu’à sept heures dans certains cas.

Les Ptérygopodes des sauterelles sont généralement de simples palpeurs qui s’engagent dans des creux présents sur la femelle. Mais certaines espèces utilisent des crochets pointus pour s’agripper, perçant souvent la cuticule de la femelle. D’autres ont ce qui pourrait ressemble à un piège à ours, des pinces qui enserrent, ou même des "menottes", un exemple en image d’entête : un couple de sauterelle Meconema, la femelle à gauche, avec les Ptérygopodes génitaux du mâles coloriés en violet (de l’étude, C. Roesti).

Ci-dessous : Ptérygopodes génitaux masculins de sauterelles avec un sexe relativement normale (à gauche) et un sexe en crochet (à droite). Chez l’espèce Anonconotus (en haut à droite) la pointe perce la cuticule de la femelle; chez les Phasmodes (en bas à droite) les ptérygopodes ressemblent à des “menottes” et encerclent complètement la femelle. (Karim Vahed)

ptérygopodes-sauterelles

Les femelles de ces espèces ne raffolent pas de ses méthodes. Bien qu’elles n’aient pas évolué d’outils défensifs, elles résistent activement en sautant, en mordant et en donnant des coups de patte pour déloger le mâle et avec un certain succès, car les espèces où les femelles résistent ont des copulations moins longues que celles qui ne résistent pas.

Pourquoi ces mâles voudraient-ils retenir leurs partenaires, quand l’accouplement des sauterelles est généralement relativement pacifique ? Les femelles ne sont pas dangereuses pour les mâles, contrairement à certaines araignées où, avant le rapport sexuel, les mâles “endorment” (catalepsie) les femelles à l’aide gaz ou les attachent avec leur fil de soie pour éviter d’être cannibalisé. La réponse nous emmène dans l’un des conflits les plus importants, mais aussi les plus secrets, de l’évolution, la bataille du sperme après l’accouplement et elle permet également de répondre à une vieille question concernant certaines pratiques sexuelles bizarres des sauterelles. L’acte de l’accouplement lui-même n’est que le début d’une lutte pour déterminer quel mâle fécondera les œufs de la femelle. Une lutte dans laquelle les femelles jouent un rôle tout aussi actif que les mâles.

Par exemple, les araignées d’eau femelles ont une trappe sous-marine couvrant leurs parties génitales, en empêchant totalement l’accès. Les mâles indésirables ont recours à un chantage les poussant à ouvrir cette trappe en les menaçant d’attirer des prédateurs. D’autres insectes femelles ont des vagins labyrinthiques (comme chez les canards) avec des virages tortueux et des impasses . Certaines femelles “écopent” même activement les spermatozoïdes directement à partir des mâles.

Cependant, chez la plupart des animaux terrestres, nous n’avons jamais pu voir ce qui se passe ensuite, parce que le sperme est placé au fond de la femelle. Souvent, les chercheurs émettent des suppositions sur ce que les mâles et les femelles font avec leurs organes génitaux, en fonction de leur forme. Les sauterelles sont des animaux d’étude idéale pour regarder le sort de l’évolution du sperme.

Les mâles sauterelles transfèrent tout leur sperme dans un sac, qui alimentera la femelle une fois celui-ci parti. Mais les femelles peuvent, si elles le veulent, se débarrasser du sperme de mâles non désirés simplement en enlevant, et plus généralement en mangeant, le sac de sperme avant que celui-ci ne soit complètement transféré. Les mâles préfèreraient que cela n’arrive pas et font en sorte de stopper la manoeuvre. Et parce cela se passe en dehors du corps de la femelle, les chercheurs ont eu l’occasion de regarder ce qui se passe.

Si le fait de donner son sperme dans un sac n’était pas assez étrange, les sauterelles mâles produisent aussi, normalement, une grosse goutte collante de gel à partir de leurs organes génitaux, que les femelles mangeront. Ce "don nuptial" est extrêmement coûteux à produire, pesant jusqu’à 40 % du poids du corps du mâle.

Pendant des décennies, les scientifiques ont débattu sur la fonction de ce grand cadeau de mariage, ou "spermatophylax". Certains pensent que le don est un repas nutritif qui aide la femelle à produire plus et une meilleure descendance avec le sperme mâle, une situation gagnant-gagnant qui est commune dans le monde des insectes. Ainsi quand la nourriture est rare, les femelles peuvent utiliser le don alimentaire pour les aider à engendrer leur progéniture.

Femelle sauterelle, Poecilimon thessalicus, se nourrissant d’un spermatophylax (“don nuptial”) donné par un mâle.
Poecilimon thessalicu

Mais d’autres pensent que le don nuptial serait également un dispositif de manipulation, en distrayant la femelle, afin que le sac de sperme arrive à drainer autant de spermatozoïdes que possible avant qu’elle ne se décide à le manger. Ces cadeaux ne sont en réalité pas très nutritifs, l’équivalent d’une gomme à mâcher aromatisée et sont mélangés avec des substances qui stimulent l’appétit de la femelle et qui la rende aussi moins susceptible de s’accoupler à nouveau.

Pourquoi sont-ils aussi méchants ?

Revenons sur cette nouvelle étude qui se penche donc sur quelques-unes des plus bizarres habitudes d’accouplement de 44 espèces de sauterelles, afin de comprendre pourquoi dans certains cas, les mâles ont recours à des pratiques plus agressives.

Chez certaines espèces, les chercheurs ont constaté que, avec l’évolution, les mâles ont cessé de prendre la peine de produire le don nuptial pour les femelles.  Pour tous les cas où le don nuptial n’était plus d’actualité, les mâles ont évolué pour prolonger l’accouplement sur de longues périodes, même après avoir transféré leur sac de sperme, en tentant de restreindre la femelle à l’aide de crochets, de pinces ou de “menottes”, alors qu’elle résiste désespérément. Mais dans les cas où les mâles présentent un don alimentaire à la femelle, la décision semble commune : les femelles ne résistent généralement pas à l’accouplement et les ptérygopodes génitales des mâles s’intègrent parfaitement dans les rainures spéciales sur la femelle, ne leur laissant aucune marque.

Alors pourquoi des mâles de ces espèces se livrent-ils à ce type de brutalité ? Les chercheurs soutiennent que c’est certainement pour prolonger le drainage du sperme à partir du sac dans la femelle, bien plus que ce qu’elle ne voudrait. Cette technique a exactement  la même fonction que ce qui avait été proposé pour le don nuptial que ces espèces ont perdu. Il est fort probable que ce comportement de retenue est un substitut du don nuptial.

Les chercheurs de conclure :

Un grand nombre d’études sur les conflits sexuel, couvrant de nombreuses espèces, se concentre sur la forme et la complexité des structures génitales masculines.
Mais notre étude montre que les conflits sexuels ne conduisent pas nécessairement à des appareils génitaux masculins plus complexes. Par exemple, les ptérygopodes des sauterelles mâles avaient déjà de simples "dents en crochet”,  qui s’engagent généralement en harmonie avec les fosses présentes sur la femelle. Certains de nos mâles "avares" utilisent ces mêmes dents d’une manière différente, tenant la femelle avec force, perçant sa cuticule. Sans observation du comportement, cette différence n’aurait pas été évidente.

Il y a aussi actuellement un point de vue dominant, que les femelles restent passives et sont même des destinataires disposés aux tentatives masculines pour les manipuler. Les structures génitales féminines ne sont souvent pas aussi variées que celles des mâles, et certains ont souligné ce fait comme une preuve qu’il n’y a vraiment aucun conflit en cours. Mais notre étude montre clairement que, dans ce cas, les femelles résistent activement et efficacement aux mâles en utilisant un comportement simple, sauter, mordre et donner des coups de patte et sans structures qui auraient spécialement évolué.

Que vous ayez des organes génitaux en forme de piège à loups ou à ours, une énorme boule de gelée à offrir, ou un appareil sexuel relativement normal, ce n’est pas ce que vous possédez qui aura de l’importance, mais ce que vous en ferez…

L’étude publiée dans la revue Evolution : Functional equivalence of grasping cercie and nuptial food gifts in promoting ejaculate transfer in katydids.

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