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Un psychiatre et un neurobiologiste ont publié une étude controversée, qui révèle comment "des souvenirs" peuvent être transmis d’un père jusqu’à ses petits-fils, chez la souris.

Brian Dias et Kerry Ressler, tous deux de l’Université Emory (Atlanta, États-Unis), ont formé des souris à craindre l’odeur de l’acétophénone, un composé chimique. Les souris dans une petite cage, alors qu’elles étaient exposées à l’odeur, ont reçu simultanément un choc à leurs pieds. Dans une étude antérieure, Ressler avait constaté que ce type de processus d’apprentissage modifie la structure de neurones olfactifs chez les souris. Plus spécifiquement, cela a conduit à la formation de plus grands glomérules* M71 et à une augmentation des neurones sensoriels M71, tout deux responsables de la détection de l’odeur de l’acétophénone.

*Glomérule olfactif : zone à très forte densité synaptique du bulbe olfactif.

Dix jours plus tard, les souris se sont accouplées et les changements neurologiques que Ressler avait relevés dans l’étude préalable sont apparus dans deux générations successives. Il en était de même, si la progéniture était issue d’une insémination artificielle, et que les souris étaient séparées pour éviter tout type de changements de comportement chez les parents, affectant leur progéniture. Tous les descendants ont réagi 200 fois plus fort lorsqu’ils étaient exposés à l’odeur de l’acétophénone comparativement aux souris qui n’ont pas subi l’expérience complète, malgré le fait de n’y avoir jamais été exposé avant. 

La constatation, que cette sensibilité à l’odeur de l’acétophénone s’est transmise de générations en génération, est incontestable, mais les mécanismes de cette transmission restent peu évidents jusqu’à présent. Ce sont les conclusions des auteurs de cette étude qui ont laissé certains perplexes. La raison de la controverse sur la façon dont cela s’est passé, est liée au fait que cette étude est l’une des rares à présenter des preuves tangibles de changements épigénétiques dans l’expression des gènes, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas été provoqués par une modification de la séquence d’ADN, mais par des facteurs environnementaux hérités.

La transmission est très spécifique, mais il est encore presque impossible, actuellement, de déterminer le comment du pourquoi. Les auteurs sont encore réticents à appeler le trait hérité, une "mémoire de la peur", car il est impossible de juger la raison psychologique de cette méfiance, pour l’odeur, par les descendants. Les glomérules, situés dans la région olfactive du cerveau qui se rapporte à l’acétophénone, sont agrandis, mais cela ne signifie pas nécessairement que cela induit la peur chez les descendants, juste qu’ils ont une sensibilité accrue à cette odeur, pour réagir de la même façon que leurs parents, en frissonnant en sa présence.

Cependant, après avoir analysé le sperme de la progéniture et celui des parents, ils ont trouvé que la partie de la séquence de l’ADN responsable de la sensibilité à l’odeur spécifique était plus prédominante. En conséquence, ils proposent que cette transmission soit due à la méthylation de l’ADN.

Il s’agit d’un procédé chimique par lequel l’expression d’un gène peut être bloquée. Les scientifiques ont trouvé moins de traces de méthylation dans la région sensible à l’acétophénone de l’ADN, ce qui indique qu’il n’a pas été bloqué ou supprimé. C’est la façon dont est traduite, pour le sperme, l’action de craindre l’odeur et qui fait débat au sein de la communauté scientifique. Dias a suggéré que cela se produit soit dans la circulation sanguine, comme certaines odeurs s’y retrouvent, ou via un signal envoyé par le cerveau.

Malgré ces interrogations, la communauté scientifique semble enthousiasmée par les résultats et les auteurs sont les premiers à admettre qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir avant que nous maitrisions “l’effet” épigénétique. Il a été suggéré par le passé que les humains ont une capacité innée à repérer les serpents et qu’ils en ont instinctivement peur, ce qui est même observé chez les enfants qui n’ont eu aucune expérience préalable avec ces créatures. Mais ceci est le résultat d’un très long changement évolutif qui a permis aux plus alertes des hommes de repérer les serpents et ainsi d’y survivre pour se reproduire plus souvent…

Avec l’étude de l’université d’Emory nous avons un trait très précis et restrictif qui est hérité, avec aucune preuve réelle sur la façon dont il est utilisé de manière importante, par exemple, pour éviter la douleur. C’est parce qu’il n’y a encore aucune preuve quant à la question de savoir si les souris cessent effectivement de réagir de manière sensible aux odeurs, lorsqu’elles se rendent compte qu’elles ne sont pas électrocutées chaque fois qu’elles sont diffusées au-dessus d’elles.

Les chercheurs s’efforcent maintenant de déterminer sur combien de générations cette sensibilité est transmise et si ce cycle peut être rompu par le réentraînement des souris. Ressler, qui a beaucoup travaillé sur le trouble de stress post-traumatique et sur la réaction de peur, espère que l’étude sera le début d’une voie épigénétique pour aider les victimes de traumatismes ou d’anxiété.

Leur étude publiée sur Nature Neuroscience : Parental olfactory experience influences behavior and neural structure in subsequent generations.

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