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Sechellophryne pipilodryas

La grenouille des Seychelles, Sechellophryne gardineri, avec ses 11 millimètres de long est l’une des plus petits vertébrés connus. Il manque des oreilles à sa minuscule tête, ce qui signifie qu’elle ne devrait pas être en mesure d’entendre quoi que ce soit et pourtant elle peut et c’est grâce à sa grande bouche.

La vie est dure quand vous êtes petit. Il ne s’agit pas seulement d’éviter d’être foulé par de plus grands animaux, les plus petites créatures luttent aussi pour que leurs organes fonctionnent correctement. Des problèmes que nous, grands humains, ne connaîtront jamais.

Par exemple, les petites grenouilles sont sujettes au dessèchement, car l’eau s’évapore très rapidement de leur peau. Les animaux miniatures ne peuvent pas engendrer une nombreuse descendance, car il n’y a pas de place dans leurs corps pour les faire se développer. Il y a même des araignées qui ont dû laisser leur cerveau envahir leur patte parce que leur tête est trop petite pour l’accueillir.

Revenons à cette grenouille des Seychelles qui est une véritable rareté, elle est l’une des quatre espèces du genre Sechellophryne. Elle est confinée dans quelques kilomètres carrés de deux îles des Seychelles et même si vous visitez son habitat vous avez peu de chances de la voir, passant le plus clair de son temps dans la litière humide pour ne pas se dessécher. Elle se nourrit de petits insectes et d’autres invertébrés.

Sechellophryne gardineri (Naomi Dorak/Arkive)ARKive image GES027860 - Gardiner’s tree frog

En ce qui concerne son audition, elle est malheureusement mal équipée. Contrairement à la plupart des grenouilles, elle ne dispose pas d’un tympan externe. À l’intérieur de sa tête, a l’équivalent batraciens d’une cochlée, la partie qui détecte les sons, mais elle n’a pas d’oreille moyenne pour transmettre le son à la cochlée. Elle n’a pas non plus un os appelé la columelle qui, chez les vertébrés non mammifères, devrait normalement aider à transporter le son.

Ainsi, la grenouille a un capteur capable de détecter des sons , mais il semble n’y avoir aucun moyen pour les sons de réellement l’atteindre. Sans oreille moyenne, 99,9 % des vibrations sonores devraient être renvoyé tout droit à l’extérieur de l’oreille interne, sans que la grenouille ne s’en aperçoive, explique Renaud Boistel de l’Université de Poitiers en France et principal auteur de cette nouvelle recherche (lien plus bas).

Pour des animaux soi-disant sourds, les grenouilles Gardineri des Seychelles sont étonnamment vocales, en particulier les mâles qui font beaucoup de bruit. Ils produisent une seule note de 0,19 seconde de long à 5710 hertz, jusqu’à une fois toutes les 3 minutes. Boistel en a conclu qu’elles devaient être en mesure de s’entendre les unes les autres : sinon, pourquoi crier ?

Pour vérifier sa théorie, le chercheur et ses collègues ont diffusé des enregistrements des appels de grenouilles mâles à l’état sauvage. Les mâles se sont tournés vers le son, y ont répondu par des appels et se sont approchés du haut-parleur. Parfois même, ils l’attaquèrent. De toute évidence, ils n’ont pas de mal à s’entendre entre eux. Cela rejoint les conclusions de précédentes études sur les grenouilles sans oreilles, qui ont également révélé une surprenante capacité à entendre.

Il existe quelques moyens biologiques peu orthodoxes pour transporter le son à l’oreille interne. Les poumons pourraient ou un deuxième petit os de l’oreille pourrait aider à les transmettre.

Pour savoir quelle méthode la S. gardineri employait, Boistel a utilisé une technique de numérisation avancée (scanner) appelée holotomographie par rayon X via synchrotron afin de construire une image tridimensionnelle de l’intérieur de son corps. Il a ensuite simulé la façon dont le son a été transmis à travers les différentes régions. À sa grande surprise, ni les poumons ni les os de l’oreille ne faisaient l’affaire. L’os de l’oreille ne rendait pas beaucoup de son et le volume du minuscule poumon convertissait les appels en ultrasons que l’oreille de la grenouille ne pouvait pas détecter.

Au lieu de cela, Boistel s’est rendu compte que la bouche de la grenouille était la solution. Représentant plus de deux fois la taille des poumons, elle résonnait mieux à une fréquence de 5738 Hz, proche du spectre d’appel des mâles, ce qui suggère que la bouche est idéale pour amplifier le son et pour le transmettre à l’oreille interne.

Illustration de l’audition de la Sechellophryne gardineri avec sa bouche, en haut : la peau de l’animal reflète 99,9 % du son atteignant son corps près de l’oreille interne. Sans une oreille moyenne, les ondes sonores ne peuvent être transportés à l’oreille interne. En bas à gauche : la bouche agit comme une cavité de résonance pour les fréquences des appels de la grenouille, amplifiant l’amplitude du son dans la bouche. Le tissu entre la cavité buccale et de l’oreille interne est adapté pour le transport de ces ondes sonores vers  l’oreille interne. (R. Boistel/CNRS)

CMJN de base

Cette image présente le segment de la tête d’une grenouille, présentant les deux oreilles internes (gris clair) et la cavité buccale sous le cerveau entre les deux. (R. Boistel/CNRS)
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Pour Boistel, c’est le premier vertébré terrestre vivant connu pour utiliser sa bouche pour l’audition. Mais il ajoute que 6 % des grenouilles n’ont pas d’oreilles moyennes et toutes les salamandres n’en ont pas non plus. Il y a probablement d’autres espèces qui utilisent ce mécanisme, pour les chercheurs, la désignant comme “une solution simple et élégante".

D’écouter par la bouche peut sembler contre nature, mais la grenouille Sechellophryne gardineri est l’une des nombreuses espèces qui utilisent des organes familiers à des fins inhabituelles. Les organes évoluent souvent pour devenir plus performants dans l’exécution d’une seule tâche, puis peuvent finir par faire totalement autre chose. Les biologistes appellent cette réaffectation : l’exaptation. D’autres exemples sont tout aussi bizarres comme le concombre de mer géant de Californie qui peut manger par son anus, tandis que la tortue chinoise à carapace molle urine régulièrement par sa bouche.

L’étude publiée sur The Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) : Zoologger: Miniature frog can hear with its mouth.

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