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Chypre, l’Ile méditerranéenne, juste au sud de la Turquie, a pris des siècles pour gagner son indépendance. Tour à tour occupée par les Grecs, les Assyriens, les Egyptiens, les Perses, les Romains, les Ottomans, les Britanniques et d’autres, chacun y a laissé sa “trace” archéologique. Dans une chambre d’un château en ruine sur le coin ouest de l’île, il peut être plus enclins de dire que les envahisseurs ont laissé un frottis de leurs intestins.

En 1191, lors de la troisième croisade, le roi Richard Ier d’Angleterre a envahi Chypre et ordonna qu’un château soit construit sur le côté ouest de l’île afin de défendre le port. Appelé Kolones Saranda, le nom du château se réfère à ses nombreuses colonnes monolithiques. Kolones Saranda2

Mais pour Chypre la tumultueuse, le château médiéval a seulement été utilisé pendant Guy de Lusignantrente ans avant qu’il ne soit détruit par un tremblement de terre. Avant cela, le roi Richard avait vendu Chypre au français Guy de Lusignan, roi de Jérusalem. Lusignan et ses successeurs avaient d’autres plans pour l’expansion de l’île. Le port englouti a été abandonné et le château n’a jamais été reconstruit.

Deux chercheurs de l’Université de Cambridge ont récemment rendu compte que, grâce à la courte utilisation du château, un trésor inestimable avait été laissé dans les entrailles du Kolones Saranda. Une des latrines centenaires du château (les anciennes toilettes), qu’ils ont trouvé encore pleines d’excréments desséchés.

Les excréments, pensaient-ils, pourraient fournir de précieux renseignements sur le genre de parasites s’attachant aux tripes des anciens résidents. Et parce que seulement 30 ans de déchets ont bouché l’antique système d’égout, ces parasites pourraient donner un aperçu précis de ce qui ennuyait physiquement les croisés médiévaux. Les chercheurs ont retroussé leurs manches et des échantillons ont été prélevés dans la fosse desséchée.

Les antiques WC du château de Kolones Saranda.
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Pour réhydrater le sol antique, l’équipe a placé un gramme de leur échantillon dans une solution chimique liquide. Ils ont utilisé des microtamis pour séparer les œufs de parasite à partir des restes digérés des repas des Croisés. Ils cherchèrent, à l’aide de leurs microscopes, les créatures que les soldats avaient peut-être laissées derrière eux.

Les échantillons ont révélé 118 œufs "en forme de citron" de Trichuris trichiura un type de ver rond, communément appelé le trichocéphale, ainsi que 1 179 oeufs du plus grand nématode, l’Ascaris lumbricoides.

TrichurisDes œufs de parasites morts depuis longtemps ont donc été évacués par les croisés en utilisant des toilettes il y a des centaines d’années. Ces espèces se reproduisent dans le corps humain et infectent de nouveaux hôtes par un sol souillé d’oeufs ou par les aliments contaminés.

Ci-contre : un des oeufs récupérés de Trichuris trichiura (à partir de l’étude, lien plus bas).

Une importante infection par l’un de ces vers n’était pas une sinécure. Les auteurs décrivent d’abord le grand vers Ascaris lumbricoides :

La femelle adulte commence alors à poser environ 200 000 oeufs par jour qui peuvent être fertiles ou infertiles si aucun vers mâle n’est présent. Bien qu’une légère infection par des Ascaris est souvent asymptomatique, sa prolifération peut entrainer une obstruction intestinale et d’abominables douleurs chez les adultes. Parce que les enfants sont moins capables de tolérer les parasites qui sont en concurrence avec eux pour les nutriments dans leur alimentation, l’infection lourde par les ascaris peut causer des troubles nutritionnels, des carences en vitamines, une anémie et un retard de croissance.

Pour le trichocéphale (Trichuris trichiura) :

Lorsque les femelles atteignent leur maturité, elles peuvent libérer de 2000 à 10 000 œufs par jour. Comme pour les ascaris, une lourde charge parasitaire peut contribuer à une malnutrition, un retard de croissance chez l’enfant et des dommages parfois mécanique de la muqueuse intestinale, diarrhée et prolapsus rectal.

La présence de ces vers, écrivent les auteurs, témoigne des mauvaises conditions d’hygiène qu’entretenaient les habitants du château.

Le manque d’hygiène par des mains sales, la contamination des denrées alimentaires et de l’eau par des matières fécales, l’élimination inadéquate des excréments et la consommation de légumes non lavés, fertilisés avec des excréments humains, sont quelques-uns des moyens par lesquels les ascaris et les trichures se sont répartis.

Les vers peuvent aussi avoir mis en péril la santé de leurs hôtes, en particulier pendant les années de famine lorsque, à la fois, les parasites et les humains étaient en concurrence pour les rares et pauvres repas. De précédentes études ont révélé qu’entre 15 et 20 % de la noblesse et du clergé sont morts de malnutrition et de maladies infectieuses pendant les croisades. Bien que les actes de décès des pauvres soldats ne sont pas disponibles, les auteurs pensent qu’il est raisonnable de supposer que la malnutrition a probablement heurté encore plus durement les croisés de rang inférieur.

Il est très probable qu’une lourde charge de parasites intestinaux, chez les soldats des expéditions de la croisade et des châteaux qui subissent de longs sièges, aurait été prédisposé à la mort par malnutrition. Cela a des implications pour notre compréhension de la santé et de la maladie sur les expéditions militaires médiévales telles que les croisades.

Avant de croire, avec soulagement, que ces parasites n’infestaient que les entrailles de personnes vivant il y a plus de 800 ans, il est important de noter que le ver géant infecte environ un sixième de tous les êtres humains vivants aujourd’hui. Comme les auteurs écrivent :

Dans les temps modernes le A. lumbricoides et T. trichiura sont deux des parasites intestinaux les plus communs et répandus.

D’autres parasites continuent d’affliger les populations humaines à travers le monde, en particulier dans les pays en développement. Qui sait ce que les archéologues du futur trouveront dans l’écume de vos latrines ?

La recherche a été détaillée dans l’International Journal of Paleopathology : Human intestinal parasites from a latrine in the 12th century Frankish castle of Saranda Kolones in Cyprus.

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