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Les pêcheurs attrapent le poisson avec un appât, ou avec des leurres qui ressemblent à des appâts. La baudroie fait la même chose, ces poissons ont des excroissances en forme de ver sur leurs têtes qui agissent comme des leurres vivant de pêche, pour attirer leur proie. Le Corynopoma riisei, un petit poisson appartenant à la famille des characins de Trinidad et du Venezuela, a un attrait similaire et il l’utilise non pas pour attirer de la nourriture, mais du sexe…

Le mâle à une petite excroissance en forme de haricot attachée à ses branchies par un mince fil. Quand il nage, il la tient contre son corps. Quand il rencontre une femelle, il déploie son “drapeau” devant elle. La femelle pense clairement que le leurre est de la nourriture, car elle le mord vigoureusement. Pendant qu’ elle est occupée, le mâle se faufile de travers et l’imprègne avec son sperme.

Contrairement à beaucoup d’autres poissons, qui expulsent du sperme et des œufs dans l’eau, ces characins se fertilisent mutuellement de l’intérieur, tout comme nous. Le mâle, cependant, ne dispose d’aucune sorte d’organe de pénétration, il a donc besoin de se cogner ainsi contre la femelle. Et son ornement bizarre assure qu’elle est exactement au bon endroit.

Corynopoma riisei1

Niclas Kolm et Göran Arnqvist, de l’université Uppsala en Suède, ont étudié les Characins pendant plusieurs années et ils ont montré que les Characins, de différents courants trinidadiens, ont des leurres de formes distinctes.Désormais, ils pensent savoir pourquoi.

Les characins attendent que la nourriture leur tombe du ciel…des insectes qui tombent dans l’eau à partir de plantes en surplomb. En moyenne, la moitié de leur régime alimentaire se compose de fourmis arboricoles, mais cette proportion peut varier de 10 à 75 %. La partie fourmi, de leur menu, est dictée par leur environnement : s’ils vivent dans des cours d’eau plus larges, ils ont plus de plantes qui poussent au-dessus et donc plus de fourmis à leur portée. Maintenant, Kolm et Arnqvist ont montré que les leurres des characins mâles ressemblent davantage à des fourmis dans les ruisseaux où la femelle mange plus de fourmis.

En collaboration avec Mirjam Amcoff et Richard Mann (département mathématique, université Uppsala), ils ont capturé 17 characins de différents courants près de Trinidad. Ils ont déterminé la forme du leurre du mâle ainsi que le contenu des entrailles de la femelle et ont démontré que ces traits sont liés. Dans les ruisseaux où les femelles mangent plus de fourmis, les leurres sexuels des mâles sont plus effilés et courbés vers leur extrémité. Cela imite, plus précisément, la forme d’une fourmi avec une fine ceinture qui relie un torse et un abdomen épais. C’est très différent de la forme ovale d’un scarabée, la seconde nourriture favorite des characins.

Ci-dessous, Graphique tiré de l’étude (lien plus bas) : la morphologie de l’ornement(*) du mâle varie en même temps que l’alimentation des femelles. (*)Représentée par les points sur la courbe qui croise la ressemblance plus ou moins importante du leurre à la forme d’une fourmi, par rapport à l’alimentation, plus ou moins importante, de cet insecte par la femelle.

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Est-ce que ces leurres en forme de fourmi ont plus de succès pour attirer les femelles mangeuses de fourmis ? Kolm et Arnqvist l’ont déterminé en utilisant des characins qui avaient été élevés en captivité et qui n’avaient jamais vu une fourmi auparavant. Ils ont nourri ces femelles soit avec des fourmis ou d’autres insectes, avant de les présenter à des mâles de différents courants. Effectivement, les femelles qui avaient profité de fourmis étaient plus susceptibles d’attaquer les leurres qui en avaient la forme, ceux des mâles de ruisseaux où les femelles mangent naturellement beaucoup de fourmis.

C’est une expérience qui soutient fermement l’idée que les leurres des mâles ont évolué pour puiser dans les préjugés sensoriels des femelles. Comme Kolm l’écrit :

La forme de l’ornement des mâles a évolué pour suivre la “recherche d’image” que les femelles emploient dans la recherche de nourriture.

C’est un leurre qui évolue en fonction des préférences de son objectif.

Mais la chose importante, c’est que ces préférences sont à l’origine induites par l’environnement. C’est la largeur des cours d’eau qui détermine le nombre de fourmis que les femelles rencontrent et donc ce qui façonne la forme que prendront les leurres des mâles.

Ce processus, où les signaux des animaux évoluent pour tenir compte des propriétés de leur environnement et ainsi se démarquer plus fortement, est connu en tant que biais sensoriel. Et dans ce cas, il conduit la divergence des différentes populations de characins.

L’étude publiée sur Current Biology : Diversification of a Food-Mimicking Male Ornament via Sensory Drive. (Source)

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