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Staphylococcus aureus

En inondant notre environnement d’antibiotiques, les humains pourraient avoir modifié un aspect peu apprécié, mais profond, de l’évolution bactérienne : le rythme même où elle se produit. Les bactéries pourraient évoluer plus rapidement et plus radicalement qu’il y a seulement quelques décennies.

Cette proposition est encore une hypothèse, mais elle est intrigante. Alors que la résistance aux médicaments est une conséquence bien connue de l’utilisation abusive d’antibiotiques sur nous et dans notre environnement, une accélération globale de la mutabilité bactérienne engendrerait une résistance aux médicaments plus fréquente et des formes imprévisibles d’agents pathogènes. Il faut savoir aussi que, naturellement, soumis à un stress extérieur, les bactéries, auront tendance à se multiplié à un rythme effréné et dans cette quantité de nouveaux individus certains auront des “malformations”, une ou des différences qui pourraient permettre à l’agent pathogène de résister à l’antibiotique…

L’activité humaine pourrait donc modifier le tempo fondamental de l’évolution bactérienne selon les généticiens Michael Gillings de l’Université Macquarie en Australie et Stokes Hatch, de l’Université de Technologie, qui viennent de publier leur recherche (lien en bas de cet article).

Gillings et Stokes commencent par décrire ce qui est de notoriété publique : Le monde est inondé par les antibiotiques. Des médicaments consommés par l’homme, ou contenus dans les produits de consommation courante, finissent dans les eaux usées, où ils subissent le traitement des déchets et deviennent une partie de l’eau qui circule. Il en va de même pour les médicaments consommés par les animaux.

Ci-dessous et entête : culture et vu au microscope de  Staphylococcus aureus résistants à la méticilline.

Stapholococcus aureus

Soumises à des environnements qui favorisent la tolérance aux médicaments par certains individus, les bactéries ont évolué de manière prévisible et la résistance aux antibiotiques a atteint des proportions dramatiques. Les fléaux historiques, tels que la tuberculose et la pneumonie, ou même la blennorragie (chaude-pisse) sont de retour avec une vengeance. Les médecins se pressent dans une liste rétrécissante de médicaments encore efficaces.

Parce que les bactéries s’échangent facilement du matériel génétique, les gènes qui neutralisent les antibiotiques ne sont pas seulement trouvés dans les agents pathogènes ciblés, mais ils sont diffusés au sein des populations microbiennes dans le monde. C’est évident. Mais, selon M. Gillings et Stokes, quelque chose de plus subtil pourrait se passer.

Il va de soi, pour des raisons mathématiques, que la sélection naturelle, dans des environnements envahis d’antibiotiques, ne favoriserait pas seulement les microbes possédant des gènes de superbactérie, mais aussi les microbes avec des taux de mutation particulièrement élevés, qui augmente leurs chances de produire de façon aléatoire (comme je le précisais au-dessus) une mutation permettant de résister à certain voir tous les antibiotiques.

Selon Gillings :

Les taux d’évolution sont eux-mêmes sélectionnés pour une plus grande évolutivité. L’évolution de base bactérienne est une courbe en forme de cloche, et nous poussons cette courbe vers la droite.évolution-bacterienne

Ci-contre :L’illustration schématique du taux de mutation augmentantn provenant de la pression par la sélection antimicrobienne (Gillings et al./Trends).

 

Il existe des mécanismes qui permettent aux bactéries de devenir plus évolutives. Comme je le précisais au-dessus, lorsqu’elles sont exposées à un stress environnemental, ce qui est connu sous le terme de réparation SOS apparait, cela détourne l’énergie cellulaire afin de réparer l’ADN et induire de nouvelles mutations.

Les mutations bactériennes se posent également à travers une recombinaison des éléments de commande génétiques, appelées intégrons. Une bactérie peut contenir des centaines d’intégrons, dont la plupart sont inactifs à un moment donné, mais en réponse au stress, les intégrons dormants deviennent actifs.

Une autre source de mutations est le transfert horizontal de gènes, dans lequel des morceaux de matériel génétique flottent librement entre les microbes. Les gènes individuels peuvent être échangés de cette manière, tout comme des arsenaux entiers d’unités génétiques, tels que le facteur de résistance NDM-1 qui a émergé en Inde en 2010 et met au tapis des classes entières d’antibiotiques communs.

L’utilisation de ces mécanismes de mutation à un coût élevé pour les microbes individuels, a noté Mark Toleman, un microbiologiste à l’Université de Cardiff qui étudie la NDM-1. "La direction générale de ce changement est en pente et nuisible au génome des bactéries", a-t-il dit.

Selon Gillings et Stokes, l’ubiquité / omniprésence des antibiotiques rend ce cout intéressant pour de nombreuses bactéries. “Nous inondons le monde avec des agents sélectifs”, selon Gillings, et cela peut avoir changé les équations standards du cout qui régissent si une évolution accrue en vaut le prix. Il vaut mieux être vivant et endommagé que morts.

Les chercheurs disent que ces taux de mutation ont augmenté, générant de nouvelles formes de résistance aux antibiotiques et d’autres changements imprévisibles. “Les processus que nous décrivons s’appliquent également à tous les gènes dans les génomes bactériens, et pas seulement à ceux qui traitent de la résistance", a déclaré Gillings et ce ne sera pas seulement quelques agents pathogènes qui accélèrent, mais un grand nombre sinon la plupart des microbes.

Tout le monde n’est pas convaincu. La biologiste spécialisée dans l’évolution Joanna Masel de l’Université d’Arizona, une spécialiste en évolutivité bactérienne, a déclaré qu’il n’est pas encore connu si les pressions de sélection exercées par les antibiotiques sont nettement plus intenses que d’autres forces qui façonnent l’évolution des bactéries.

selon Masel :

Il y a tout le temps et beaucoup de pression de sélection sur les bactéries. Elles se battent contre les virus et d’autres parasites. Elles se soustraient à leurs prédateurs. Elles sont en constante compétition avec d’autres bactéries. Les antibiotiques ont clairement de l’importance. Les bactéries ont évolué en fonction d’eux. Mais c’est une autre affaire que de déclarer que cette forme d’évolution est plus importante que très nombreuses autres qui pousse la bactérie à évoluer continuellement.

Gillings a quant à lui déclaré :

Nous pourrions avoir tort. Il est nécessaire que des personnes réfléchissent à ce problème et mettent au point des expériences pour tester nos idées. Nous avons besoin de données clés pour être sûr, mais même s’il y a seulement une chance de 1 % que nous ayons raison, et je crois que ça ressemble plus à 99 %, c’est un phénomène qui doit être sérieusement envisagé.

L’étude publiée dans le numéro de juin de Trends in Ecology and Evolution (peer-reviewed) : Are humans increasing bacterial evolvability ?

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