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Leptopilina boulardi

Dans une prairie française, une créature qui se spécialise dans la corruption des corps d’autres insectes, bénéficie d’un avant-gout de son propre traitement.

La Leptopilina boulardi (image d’entête et plus bas) est une guêpe qui pond ses œufs dans les larves de mouches. Les larves, déposées par la guêpe à l’intérieur de la mouche, dévorent leurs hôtes pour se former l’intérieur, avant de transpercer/éclater littéralement le cadavre. Une mouche ne peut supporter qu’une seule larve parasite et si deux œufs se retrouvent dans le même hôte, les larves seront en compétition l’une avec l’autre jusqu’à ce qu’une seule survive. En tant que telles, les guêpes veillent à ce qu’elles implantent chaque cible avec un seul œuf. Et s’ils elles trouvent un asticot qui a déjà été parasité par une autre L.boulardi, elles restent généralement à l’écart. Habituellement, mais pas toujours…

La L.boulardi est parfois infectée par un virus appelé LbFV, qui signifie L.boulardi filamentous virus. Et tout comme la guêpe s’accapare le corps de sa cible, la mouche, le virus réquisitionne le corps de la guêpe. Il change son comportement afin qu’elle ne se soucie plus de savoir si une mouche est déjà occupée. Elle implantera ses œufs, même si sa cible a un locataire existant. Une fois l’infection par les guêpes terminée, le pauvre asticot pourrait avoir jusqu’à onze œufs dans ses entrailles.

La manipulation du virus est extraordinairement spécifique. Une guêpe infectée se déplace beaucoup moins, et se développe légèrement plus lentement, mais ses chances de survie restent les mêmes. Le virus nuit à peine à sa santé. Il n’affecte pas non plus sa capacité à détecter l’odeur d’une mouche ou d’un compagnon. Il ne semble qu’affecter son attitude à l’égard de la règle : un œuf pour une mouche.

Comment y parvient-il ? Nous ne le savons pas. Pourquoi le fait-il ? C’est beaucoup plus clair : en modifiant le comportement de la guêpe, le virus se propage. Le virus est transmissible et les guêpes femelles le transmettent à leurs propres œufs. De là, le virus peut sauter dans tous les autres œufs du voisinage. Donc, si une guêpe implante sa progéniture à un asticot qui porte déjà un autre œuf, le virus a une nouvelle lignée de guêpes à infecter.

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Julien Varaldi, du Laboratoire de Biométrie et Biologie Évolutive de l’université de Lyon, a d’abord découvert le LbFV en 2003, et il a passé la dernière décennie à dévoiler sa bizarre habilité à contrôler les guêpes. Maintenant, il a trouvé une autre tournure dans la relation du virus avec ses d’insectes transporteurs.

La même campagne française est également le refuge d’une guêpe étroitement liée, appelée Leptopilina heterotoma. Elle cible les mêmes mouches que la L.boulardi et les deux espèces pondent des œufs dans des asticots occupés par l’autre. S’ils le font, ils sont en concurrence et la L.boulardi gagne généralement. Varaldi a gardé des asticots dans des flacons avec un nombre égal des deux guêpes, et il a trouvé que 92 % des insectes qui finissent par éclater sont provoqués par les larves de la L.boulardi. La même chose s’est produite lorsque Varaldi a mis en place plus de “cages” contenant des mouches et les deux guêpes. Dans tous les cas, la L.boulardi a monopolisé les asticots et les L.heterotoma sont mortes.

Mais le virus LbFV renverse les scores de cette compétition. Le virus n’infecte jamais la L.heterotoma et quand il infecte la L.boulardi, il affaiblit son avantage concurrentiel. Dans les expériences menées, les larves des deux espèces de guêpes sont soudainement au même niveau. Dans la cage, la L.heterotoma a effectivement réussi à éliminer la L.boulardi sur trois des cinq essais.

Pourquoi ? Le virus fait perdre ses œufs à la L.boulardi. Dans des circonstances normales, elle pond un œuf par hôte et sature la fourniture d’asticots disponibles avec sa descendance. Si la L.heterotoma réside dans ces asticots infectés, ses petits sont battus par ceux de la L.boulardi au sein de leur hébergement mutualisé. Mais grâce au LbFV, la L.boulardi met ses œufs dans trop peu de paniers, laissant beaucoup d’asticots être attaqués sans entrave par la L.heterotoma.

Cette découverte permet d’expliquer pourquoi il y a assez de place dans les mêmes prairies française pour les deux guêpes, même si elles sont en concurrence pour les mêmes hôtes. D’autres scientifiques avaient suggéré qu’elles pouvaient intervenir dans une période de temps différente, ou s’en tenir à des zones restreintes. Au lieu de cela, l’étude de Varaldi suggère que à la clé de cette fragile coexistence pourrait être hérité d’un virus contrôleur d’esprit.

En utilisant un modèle mathématique, Melanie Hatcher, Jaimie Dick et Alison Dunn avaient prédit une interaction similaire en 2008 (lien plus bas). Elles ont montré que si un parasite a des effets plus néfastes sur la plus “forte” de deux espèces en concurrence, cela va permettre à la “plus faible” de persister, voire de dominer un écosystème. Le cas du virus et de ces deux guêpes est un parfait exemple de la tendance qu’elles avaient envisagé par des équations.

L’étude publiée le 4 avril dans la revue Ecology Letters : An inherited virus influences the coexistence of parasitoid species through behaviour manipulation.

La précédente prédiction (informatique) de ce type de manipulation virale publiée en 2008 : A keystone effect for parasites in intraguild predation ?

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