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Sur un haut plateau herbeux éthiopien, la révolution et la mort sont en cours. Le plateau est le refuge d’un groupe de géladas, un singe hirsute, mangeur d’herbe, à la face allongée et un peu terrifiante.

Les géladas vivent en petits groupes où un seul mâle dominent plusieurs femelles apparentées, qu’il monopolise. C’est une position enviable et les mâles ont souvent à repousser les escarmouches des célibataires avides de pouvoir. Si un nouvel arrivant évince le singe en chef, c’est annonciateur de mauvaises nouvelles pour les femelles du groupe. Une vague de mort balaie l’unité, alors que le nouveau mâle tue tous les jeunes que son prédécesseur a engendrés. En effet, les bébés sont 32 fois plus susceptibles de mourir après une prise de contrôle qu’à un tout autre moment.

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Mais ce n’est pas tout. Eila Roberts de l’Université du Michigan a constaté que l’arrivée du nouveau mâle déclenche une vague d’avortements spontanés. Quelques semaines plus tard, la grande majorité des femelles locales interrompent leur grossesse. C’est la première fois que cette stratégie a été observée dans la nature.

La tendance à l’avortement des bébés face à des mâles étrangers est connue sous le nom de l’effet Bruce. L’effet est nommé d’après la scientifique qui l’a découvert, Hilda Margaret Bruce. En 1959, elle a remarqué que les souris enceintes avortaient si elles étaient exposées à des mâles inconnus. Depuis lors, les scientifiques ont trouvé le même effet chez les rongeurs de laboratoire et des chevaux domestiques.

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Mais l’effet Bruce a toujours été un caprice de la captivité. Personne ne savait vraiment si les animaux sauvages faisaient la même chose. Il y a bien eu des anecdotes impliquant différents singes (y compris les géladas), mais pas d’études solides ou de preuves expérimentales. Deux études sur des rongeurs sauvages n’ont pas réussi à trouver de preuve de l’effet Bruce.

Mais Eila Roberts a modifié la donne. Elle a passé cinq ans à étudier les geladas en Éthiopie, au Parc national du Simien, incluant 110 femelles provenant de 21 groupes.

Elle a constaté que les groupes, où un mâle avait pris le pouvoir, obtenaient un calendrier des naissances très différent des groupes dont le mâle dominant était resté en poste. Dans les six mois précédant une prise de contrôle, tous les groupes étaient très similaires. Dans les six mois qui suivirent, les groupes avec un nouveau mâle ont beaucoup moins donné naissance à des bébés, avec seulement 2, comparativement aux 36 dans les autres groupes.

Mais ce ne sont que des preuves indirectes. Eila Roberts a voulu savoir si les femelles enceintes, en particulier, avaient effectivement données naissance. Pour ce faire, elle a prélevé des échantillons de matières fécales des géladas pour mesurer les taux d’hormones. Ces cocktails chimiques ont révélé l’identité des femelles enceintes. Au total, Roberts a identifié 60 grossesses, dont 9 terminées prématurément. De ces neuf, 8 ont eu lieu dans les semaines qui ont suivi la prise de contrôle par un mâle. Normalement, le taux d’échec pour les grossesses de gélada est d’environ 2 %. Si un nouveau mâle arrive, il monte en flèche à 80 %.

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La raison pour laquelle les mâles entrants tuent tous les nouveau-nés est évidente. Les femelles géladas ne redeviennent fertiles que quand elles cessent d’élever leurs actuelles progénitures. En supposant une absence d’avortements, ils attendraient trois ans entre les grossesses. C’est plus que le règne habituel d’un mâle dominant. Ainsi, un nouveau venu, après avoir enfin gagné le droit de s’accoupler, a effectivement peu d’occasions de le faire. Pour aggraver les choses, ses femelles sont parfois occupées à élever les petits de quelqu’un d’autre. Sa solution: tuer les bébés. Le plus vite il le fait, le plus tôt les femelles redeviennent fertile, et le plus tôt ils peuvent engendrer leurs propres progénitures.

Mais pourquoi une femelle enceinte avorte de son propre foetus ? Eila Roberts pense que c’est une tactique d’adaptation face aux tendances meurtrières d’un nouveau mâle. Sinon, le mâle tuerait probablement le nouveau-né, il est donc moins couteux pour la femelle d’avorter que de perdre du temps et de l’énergie pour un petit condamné à terme. Sa future progéniture, conçue plus rapidement et engendrée par l’actuel Roi de la colline, aura une meilleure chance de survie.

Il s’agit d’un exemple concret. L’on ne sait pas encore si l’effet de Bruce est très présent chez les mammifères. Comme Roberts l’a montré, cela s’avère très difficile, et peu de scientifiques peuvent se permettre de recueillir des échantillons de matières fécales d’une grande population pendant de nombreuses années.

L’étude publiée sur Science AAAS : A Bruce Effect in Wild Geladas, photos Clay Wilson, Shayna Liberman.

 

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