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Silene-stenophylla-régénérée

Les différentes graines, dans mon bol de céréales, ont tendance à pourrir après quelques semaines. Les fruits, qui sont refroidis dans la glace permanente sibérienne, s’en sortent un peu mieux. Après plus de 30 000 ans, et certains soins prodigués par des scientifiques russes, d’anciens fruits ont produit cette jolie fleur blanche et délicate.

Ces plantes régénérées, se levant comme un phénix hivernal à partir de la glace de Russie, sont encore viables. Elles produisent leurs propres semences et, après une pause de 30 000 ans, peuvent continuer leur lignée familiale.

La plante doit sa miraculeuse résurrection  à une équipe de scientifiques dirigée par David Gilichinsky, et un écureuil terrestre entreprenant. Retour dans le Pléistocène supérieur, l’écureuil enterre les fruits de la plante dans les berges du fleuve Kolyma. Ils gèlent…

Au cours des millénaires, le terrier de l’écureuil s’est fossilisé et a été enterré sous des couches croissantes de glace. Les plantes à l’intérieur ont été maintenues à -7 degrés Celsius, entourés par le sol gelé en permanence et par des os pétrifiés de mammouths et de rhinocéros laineux. Elles n’ont jamais dégelé, ni bougées. Au moment où elles ont été trouvés et décongelés par des scientifiques, elles avaient été enterrées à une profondeur de 38 mètres, et congelées pendant environ 31 800 années.

Terriers-écureuils-fossilisés

Svetlana Yashina de l’Académie des Sciences de Russie a fait croitre les plantes à partir de fruits immatures récupérés dans le terrier. Elle a extrait les placentas, la structure sur laquelle les graines s’attachent, et les baigna dans une infusion de sucres, de vitamines et de facteurs de croissance. À partir de ces tissus, des racines et des pousses ont émergé.

Yashina a mis les plantes en pot et deux ans plus tard, elles ont développé des fleurs. Elle a fertilisé les anciennes fleurs avec le pollens de chacune et, en quelques mois, elles avaient produit leurs propres graines et fruits, tous viables. Les plantes gelées fleurissent à nouveau, après des millénaires dans un congélateur naturel, prêt à ensemencer une nouvelle génération.

La S.stenophylla est toujours là, mais Yashina a constaté que les anciennes plantes sont subtilement différentes de leurs homologues modernes, même celles récupérées dans la même région. Elles sont plus lentes à produire des racines, elles produisent plus de bourgeons, et leurs pétales de fleurs étaient plus larges.

C’est la première fois que quelqu’un réussit à faire pousser des semences de plantes profondément enfouies dans des terriers gelés en permanence. Mais ce n’est pas la première fois que quelqu’un a essayé. En 1967, des scientifiques canadiens affirmaient qu’ils avaient régénéré le lupin arctique à partir de graines vieilles de 10 000 ans qui avaient été enterrés par les lemmings. Mais en 2009, une autre équipe a analysé ces graines pour constater qu’elles étaient en réalité plus modernes, qui avait contaminé l’ancien échantillon.

Conscient de cette erreur, Yashina a soigneusement vérifié que ses plantes étaient en effet anciennes. Elle a daté les graines directement, et ses résultats correspondent aux estimations de l’âge à partir d’échantillons d’autres du même terrier. Les terriers ont été enterrés bien au-dessous du niveau que peuvent atteindre les animaux en creusant, et la structure de la glace qui l’entoure laisse à penser qu’elles n’ont jamais dégelé. Leurs sédiments sont fermement compactés et totalement remplis de glace. Aucune eau ne s’est infiltrée dans ces chambres, et encore moins les racines des plantes ou des rongeurs modernes.

Un précédent record existe pour ce type de “résurrection”. En 2008, des scientifiques israéliens ont fait de même pour une plante qui porte bien son nom, le Phoenix dactylifera, plus connu sous le nom de palmier dattier, à partir de graines de palme qui avait été enterrées au 1er siècle. Mais ces graines n’ont que 2 000 ans…

Ce monde clos a fourni un abri, un froid continu, et un efficace environnement sec, qui a permis aux fruits de persister. A des températures inférieures à zéro, leurs réactions chimiques se sont ralenties pour stagner. L’âge extrême n’était plus un problème. Un placenta de fruit est également chimiquement actif, et est composé de plusieurs produits chimiques qui pourraient avoir protégé ces tissus spécifiques contre le froid.

Mais les terriers ne sont pas des environnements complètement bénins. Les roches souterraines contiennent des éléments radioactifs naturels, qui auraient bombardé les graines avec de faibles doses de radiation, pour s’accumuler. Ceux que Yashina a régénérés auraient accumulé 70 Grays de rayonnement, c’est plus que ce que toute autre plante ne pourrait absorber tout en produisant des graines viables.

La résurrection de la S.stenophylla indique qu’il y a bon nombre de trésors enfouis dans le pergélisol du monde. Ce sol, défini comme restant en dessous de zéro pendant deux ans ou plus, couvre un cinquième de la superficie de la planète. Il est le foyer de bactéries, algues, champignons, plantes et plus encore. Dans les terriers fossiles que Yashina a étudiés, les scientifiques ont trouvé jusqu’à 600 000 à 800 000 graines dans des chambres individuelles.

Aujourd’hui, dans une caverne moderne en Norvège se trouve la réserve mondiale de semences du Svalbard, où les scientifiques ont entreposé des milliers de graines gelées, une sauvegarde en cas de crises agricoles. Mais la nature a déjà produit des banques de semences congelées similaires. La Sibérie, l’Alaska et le Yukon pourrait agir comme un immense congélateur, où la vie ancienne est conservée, en attente d’être à nouveau accueilli par le monde.

Ah ! et pour la sombre anecdote, David Gilichinsky, le responsable de la recherche, s’est éteint le 18 février, juste 2 jours avant que son étude finale soit publiée.

L’étude publiée sur PNAS (peer-reviewed) : Regeneration of whole fertile plants from 30,000-y-old fruit tissue buried in Siberian permafrost.

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